jeudi 20 décembre 2012

"Inventaire phonétique et phonologique du Kabyle", par Paul-Eric Langevin (2012)

Paul-Eric LANGEVIN  

Ioana CHITORAN 


Inventaire phonétique et phonologique du Kabyle 

Le Kabyle fait partie des langues berbères, elles-mêmes un sous-ensemble des langues afro-asiatiques. Il y a à peu près 25 langues différentes de type berbère, le Kabyle étant l’une d’elles, et près de 400 langues afro-asiatiques. Le Kabyle est parlé en Kabylie, région située à l’est de l’Algérie. Cette langue est aussi parlée dans d’autres pays d’Afrique du Nord ainsi qu’ailleurs dans le monde, en particulier en France et en Belgique. Il y a 3,5 millions de locuteurs du Kabyle en Kabylie et 5,5 millions dans le monde. Elle est parlée aussi en particulier en Algérie, au Maroc, en Tunisie et dans l’ouest du Sahara. Le Kabyle est aussi appelé Amazigh ou Tamazight. C’est une langue reconnue comme langue nationale en Algérie depuis 2002. Les locuteurs sont fiers de leur langue et résistent en particulier à l’influence de l’Arabe. Les systèmes d’écriture utilisés sont l’écriture arabe, l’alphabet latin ou l’écriture tifinagh mais le Kabyle est à l’origine une langue essentiellement orale. Il existe de nombreux contes dans la culture kabyle. Depuis quelques dizaines d’années, le Kabyle est étudié par les linguistes et de nombreux travaux sont dignes d’intérêt, parmi lesquels les travaux de Sabrina Bendjaballah, Amina Mettouchi, Kamal Nait-Zerrad, Ramdane Achab mais aussi ceux de Michel Quitout, Lionel Galand, René Basset, Jean-Marie Dallet ou encore Camille Lacoste-Dujardin, auteur d’un magnifique «Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie».

Pour notre travail de terrain, nous avons interrogé trois camarades de classe âgés d’environ 25 ans, deux femmes et un homme. Parmi ces trois personnes, deux sont originaires de Bejaïa et une de Tizi Ouzou. On a pu en particulier remarquer que le Kabyle de Bejaïa et celui de Tizi Ouzou représentent deux dialectes différents bien qu’assez proches.

Voyelles

Le Kabyle utilise 3 voyelles différentes, /a/, /i/, /u/ plus le schwa /ə/ appelé aussi ilem. Nous avons trouvé des exemples de chaque voyelle dans le corpus étudié lors du travail de terrain.

/ə/ :
[n ə k]           je
[x ə t  ʃ]          tu
/a/ :
[n ə tsa]        il
[nu θ nia]      ils
/i/ :
[nuk ə nia]   nous
[nu θ nia]     ils
/u/ :
[nuk ə nia]   nous
[nu θ nia]     ils

Par rapport aux voyelles, nous avons trouvé le même résultat que celles données dans la version que nous avons trouvée en ligne. Passons maintenant à l’étude des consonnes. 

Consonnes

A partir du corpus étudié, nous avons dégagé l’existence de 20 consonnes en Kabyle :
/n/      /k/      /x/      /t/       /ʃ/       /s/       /w/     /θ/      /r/       /j/       /g/      /h/      /ð/  /q/          /m/     /v/     /ʁ/      /ʒ/      /z/      /q/ barré

Nous avons utilisé un corpus composé de 25 mots du Kabyle, c’est pourquoi nous n’avons dégagé l’existence que de 20 consonnes mais il en existe en réalité plus puisque l’ensemble des consonnes du Kabyle s’élève environ à 45 consonnes selon la version que nous avons trouvée en ligne. Voici des exemples de mots tirés de notre corpus pour chacune des 20 consonnes que nous avons mises en évidence :

/n/ :
[n ə k]           je
[n ə tsa]        il
/k/ :
[nuk ə nia]   nous
[akaru]          tête
/x/ :
[x ə t  ʃ]          tu
[xunwi]         vous
/t/ :
[n ə tsa]        il
[θamtuθ]      femme
/ʃ/ :
[x ə t  ʃ]          tu
[aq ʃi ʃ]          enfant
/s/ :
[n ə tsa]        il
[a ʁ arsiu]   animal
/w/ :
[xunwi]         vous
[wihin]          celui-ci
/θ/:
[nu θ nia]     ils
[a θ rur]        oiseau
/r/ :
[argaz]          homme
[a θ rur]        oiseau
/j/ :
[waji]             ceci
[ðaji]              ici
/g/ :
[wagi]                       cela
[argaz]          homme
/h/ :
[wihin]          celui-ci
[wahi]           celui-là
/ð/ :
[ðaji]              ici
[ðijin]           
/q/ :
[aq ʃi ʃ]          enfant (garçon)
[θ aq ʃi ʃ θ]   enfant (fille)
/m/ :
[θ amtu θ]    femme
[jimma]         mère
/v/ :
[vava]                       père
/ʁ/:
[a ʁ arsiu]   animal
[amzu ʁ ]    oreille
/q/ barré:
[aq ʒun]        chien


[θ aq ʒunt]   chienne
/ʒ/ :
[aq ʒun]        chien


[θ aq ʒunt]   chienne
/z/ :
[amzu ʁ ]    oreille         
[argaz]          homme
Paires minimales : nous en avons trouvé quelques unes mais elles ne sont pas très nombreuses, en voici deux exemples particuliers,
/j/ - /g/          [waji]             /          [wagi]
/j/ - /g/          [ðaji]              /          [ðagi]


Conclusion et hypothèses

Si l’on devait continuer une étude sur le Kabyle, on approfondirait certainement les questions historiques et sociales, voire sociolinguistiques et ethnolinguistiques. En particulier, hormis la question de la langue, le fonctionnement de la famille et des traditions nous paraît particulièrement intéressant, d’après ce que l’on a pu trouver dans l’ouvrage de Camille Lacoste-Dujardin cité dans les références. D’autre part, les questions de lexicologie étudiées dans les autres ouvrages consultés nous paraissent être des sujets très riches. Du point de vue de la phonétique et de la phonologie, il faudrait pouvoir faire un inventaire complet et se poser des questions de linguistique comparative pour savoir si les consonnes que nous avons mises en évidence et qui ne se trouvent pas dans des langues romanes déjà étudiées (/x/, /θ/, /ð/, /q/ barré…) se retrouvent dans les autres langues afro-asiatiques ou dans d’autres groupes de langues.


Liste de références

Nous avons consulté les travaux suivants :

-"Linguistique berbère et applications", Kamal Nait-Zerrad, 2004

-"La néologie lexicale berbère", Ramdane Achab, 1996

-"Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie", Camille Lacoste-Dujardin, 2005

Articles :

-"L’inaccompli négatif en berbère", Maarten Kossmann, 1989

-"La personne grammaticale en berbère", Lionel Galand, 1994

-"Schwa en berbère", Maarten Kossmann, 1995

Nous renvoyons aussi aux nombreux articles sur le Kabyle publiés indépendamment par Amina Mettouchi et par Sabrina Bendjaballah, ainsi qu’au dictionnaire Kabyle-Français publié par Jean-Marie Dallet en 1985.