dimanche 9 août 2015

"Psychanalyse et communisme : Georges Politzer et Louis Althusser", par Jeannine Hayat (2013)

Psychanalyse et communisme : Georges Politzer et Louis Althusser


Le Huffington Post



LITTÉRATURE Au XXe siècle, l'idée de "révolution" était au cœur du projet des consciences progressistes. Mais, entachée de soupçon depuis le naufrage du régime soviétique et l'échec de la révolution culturelle chinoise, la notion a perdu tout caractère opératoire en politique comme en philosophie. Et pourtant, des penseurs profonds avaient inscrit ce concept au centre de leur réflexion. Comment préserver de l'oubli leurs travaux, autrefois incontournables?

L'actualité nous invite à évoquer d'abord le parcours de Georges Politzer (1913-1942), Hongrois, fils de médecin, arrivé en France en 1921. Michel Politzer, son fils, a récemment publié une biographie de ce héros de la Résistance. Son action contre le fascisme a été louée dès 1943 par le général De Gaulle, comme un exemple de "dignité de l'esprit".

Intitulé Les trois morts de Georges Politzer, l'intéressant ouvrage met l'accent sur la précocité des convictions révolutionnaires du philosophe et dévoile l'intimité d'un militant exceptionnel. La tâche n'était pas simple car Michel Politzer n'a conservé en mémoire aucun de ces souvenirs d'enfance qui auraient fait de lui un témoin privilégié. Une amnésie partielle a , en effet, frappé le biographe le jour de mai 1942 où il a appris que son père avait été fusillé par les Allemands au mont Valérien.

Dans l'esprit lucide de Michel Politzer, ce décès tragique constituait la troisième mort de son père. Elle avait été précédée par deux ruptures symboliques profondes : les adieux du rebelle à son pays natal après l'échec de la révolution de Béla Kun puis son abandon de la philosophie au profit du militantisme dans les années 1930.

Or, Politzer a été un philosophe particulièrement prometteur. Publié en 1928, son ouvrage majeur, Critique des fondements de la psychologie, était très en avance sur son temps. Pour remplacer la psychologie, science abstraite et spéculative aux yeux du jeune philosophe, il préconisait une science du drame c'est-à-dire de l'action et des conditions concrètes d'existence des individus.

Cette science originale, Politzer regrettait que Freud, encore trop influencé par une psychologie obscurantiste, ait échoué à la fonder. Notons que le déclenchement de la guerre n'a pas permis à Politzer de préciser son projet de psychologie concrète. Néanmoins, c'est souvent à travers les thèses incomplètes de Politzer que les philosophes français ont découvert la psychanalyse, notamment Louis Althusser.

De la même génération que Georges Politzer, Althusser (1918-1990) était également doté d'une intelligence fulgurante en dépit de son tempérament mélancolique. Caïman pendant trente ans à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm, Althusser admirait Politzer qui lui avait inspiré une méfiance définitive à l'égard de la psychologie.

Georges Politzer et Althusser partageaient un goût identique pour les thèses radicales et les coupures épistémologiques. Philosopher consistait pour eux à penser la théorie des sciences et à produire des effets dans le champ politique. Ce n'est d'ailleurs certainement pas un hasard si, à partir de 1948, parallèlement à son adhésion à la Cellule communiste des personnels de la rue d'Ulm, Althusser s'est fait l'inspirateur du Cercle Politzer, groupe de réflexions plus libre, associant professeurs et élèves. Le nom de Politzer était annonciateur de polémiques...

Une des objections de Politzer à la psychanalyse, qu'Althusser aurait pu faire sienne, était d'ordre pratique : en quoi la psychanalyse peut-elle aider les peuples dans leur lutte contre l'asservissement et en particulier contre le nazisme ? À question pratique, réponse en acte.

Politzer a été du petit nombre des premiers intellectuels Résistants. Dès février 1941, il a publié un long texte antifasciste en réponse à la conférence de l'idéologue nazi, Alfred Rosenberg, intitulée « Sang et Or, Règlement de comptes avec les idées de 1789 ». Dans « L'obscurantisme au XXe siècle », Politzer célèbre l'esprit des Lumières attaqué par l'ennemi jusqu'au sein de la Chambre des députés. Familier de Voltaire et de Diderot, Politzer a su retrouver les accents des philosophes du XVIIIe siècle pour démystifier le discours trompeur de Rosenberg. Son exceptionnelle réactivité dans le domaine politique se nourrissait de sa culture philosophique.

Grâce à Michel Politzer, le lecteur pénètre dans l'intimité d'un intellectuel exigeant et précurseur. En famille, Georges Politzer était également un homme passionné. Il avait rencontré sa deuxième épouse Marie, dite Maï, dans un train. Communiste comme lui, elle fut une combattante de la première heure. Elle a trouvé la mort à Auschwitz en mars 1943. Jamais Michel, leur fils, n'avait supposé de mésentente ou de lassitude entre eux.

Or, durant son enquête, Michel Politzer a découvert des aspects de l'existence de ses parents qui l'ont bouleversé. Après de multiples recoupements, le biographe a acquis la certitude qu'avant leur arrestation, son père Georges, sa mère Maï et le Résistant Jacques Decour avaient vécu l'expérience d'un trio amoureux à la Jules et Jim. Ce détail n'est nullement anecdotique. L'allégeance de Politzer envers le parti et sa morale austère avait ses limites !

Dans sa biographie, Michel Politzer, affirme vigoureusement la subjectivité de son enquête. Son portrait nuancé d'un philosophe communiste, mort pour ses idées, est très inspirant. Le biographe, qui n'était ni philosophe, ni historien de profession, a su magistralement contextualiser les engagements de son père et redonner envie de lire ses textes.

Les écrits sur la psychanalyse d'Althusser, publiés en 1993 par Olivier Corpet et François Matheron, n'ont rien perdu de leur pertinence. Et l'un des effets de ses interventions a été de rectifier la conception négative de la psychanalyse que Politzer, sans doute influencé par l'idéologie du parti, avait développée. Comme Althusser se distingue par la rigueur de ses démonstrations et la clarté de son style, la lecture de ses articles est toujours conseillée.

, critique littéraire (Le Huffington Post)



A lire:

Michel Politzer, Les trois morts de Georges Politzer, Flammarion, 2013.

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