samedi 13 février 2016

"Journal poétique en prose", par Paul-Eric Langevin (2004)






Journal poétique en prose


Pour écrire une histoire

Pour écrire une histoire, il faut tout juste partir de quelque chose. Un point de départ et tout en découle. Une clé qui puisse ouvrir une porte vers un imaginaire quelque part ailleurs. Un souvenir qui se glisse furtivement dans l'esprit et qui plane là quelques secondes. 11 faut apprendre à les accueillir convenablement pour qu'ils restent. Il faut leur offrir à boire, à manger pour qu'ils soient à l'aise. Et puis quand ils sont prêts, ils nous racontent la suite. Un magnolia qui s'ouvre, un rayon de soleil qui arrive et le train est en marche.


Remplacer la perfection par l'expression

Le baroque vaut mieux que mille dessins épurés. Il faut que le souffle jaillisse, que la lueur sorte de la corne d'abondance... Fruits et fleurs, rayons de soleil, personnages en tout genre, troubadours, danseuses, chevaliers, fous, empereurs, dans une ronde infernale. Travailler n'empêche en rien de créer. Création c'est le maître mot. L'art ne se laisse apercevoir que dans la solitude. La solitude doit être comblée par une multitude d'apparitions imaginaires.


Always look on the right side of life

La vie est un jeu. Un jeu de cartes ou de boules, un jeu de hasard, un jeu d'argent, un jeu mystérieux, un jeu de combat, deux joueurs face à face, l'oeil vif, passionné, cherchant la faiblesse de l'adversaire, toute l'énergie dans le regard. Un jeu de dames, un jeu d'échecs. Chacun son tour lance sa réplique, pousse son adversaire dans ses derniers retranchements puis l'aide à continuer. Sans adversaire, il n'y a plus rien. Que le vide. On ne peut plus affronter, prouver sa valeur. On est seul face à soi-même. C'est pour ça qu'on dit "il faut aimer son ennemi". Il faut le respecter pour mieux le battre. Pour peut-être par la suite s'en faire un allié. Les alliés sont des ennemis en puissance. Tout comme les ennemis sont des alliés en puissance. Dans le grand théâtre de la vie. Sommes-nous des pions? Qui peut donner des réponses définitives? Le tout est de prendre le plus de plaisir au jeu. De le faire durer le plus longtemps possible.


Désir et frustration

Peut-on réellement exprimer son désir? Jusqu'à quel point? Le langage des mots et celui du corps suffisent-ils à l'exprimer, à exprimer ce qu'il y a à l'intérieur? Sans doute, non. C'est pourquoi il y a la peinture. Mais n'est-ce pas aussi un langage corporel que de déposer de la peinture sur une toile? Pas seulement car la peinture touche au symbolique, au transcendant qu'il y a en chacun de nous. Cette frustration passée, peut-elle s'écouler, trouver un objet par la suite ou reste-t-elle pour toujours inscrite dans le corps? Peut-être faut-il aller au centre de la souffrance pour pouvoir réellement en sortir. Moi, par qui vais-je remplacer Maman? C'est ça la question fondamentale. J'ai besoin de rencontrer une femme. Rencontrer dans le sens le plus large du terme. Affectivement.

Intellectuellement. Physiquement. Spirituellement. Sans la rencontre amoureuse, peut-on arriver à trouver des femmes qui conviennent? J'aimerais de petites histoires amoureuses ou bien une grande. Ne pas trop douter de soi-même. Laisser une large place à la confiance. Confiance en soi. En qui? En soi. Oui mais quel soi? Celui-ci? Celui-là? Qui choisir? Estime de soi, confiance en soi, affirmation de soi. Oui mais de qui? Chacun de nous a plusieurs visages. Chacun de nous est multiple. Alors qui rencontrer? A-t-on réellement quatre-vingt pour cent d'inconscient? Comment lâcher prise, être cool? S'estimer, s'exprimer, exulter, exhumer...

Ecrire écrire toujours et encore. Désirer désirer encore et toujours. Sinon c'est la mort. L'important est de trouver le visage qui plaît ou peut-être d'accepter même celui qui ne plaît pas. Parce qu'on est un tout. Accepter l'ombre tout comme la lumière. Si on dissocie trop les deux, on est malade. On ne tient qu'à un fil. On marche sur une poutre instable. On est sur la corde raide. Non, tout simplement accepter l'inattendu, les situations qui se présentent et les réactions que l'on a face à celles-ci. Il y a en fait trois genres de personnes. Celles qui ont accepté leur ombre. Elles sont solides. Celles qui ne l'ont pas encore acceptée. Elles sont fragiles. Et celles qui ne l'ont pas supportée. Elles sont mortes.

Comment accepter tous ces désirs contradictoires? Tous ces complexes incompréhensibles parce que trop compliqués? D'où sortent-ils tous ceux-là? Les comprendre ne suffit pas à s'en débarrasser. Alors que faire? Comment les déjouer? Simplement se dire que trop se déprécier est faux et mauvais de même que de trop s'apprécier. Avoir confiance et douter en bonnes proportions est un pas vers la raison et même vers la sagesse.


Haptonomie

Sentir l'espace autour de soi dans toutes les directions. Sentir le contact, la distance entre soi et les autres. Se poser dans l'espace, dans l'instant. Ne pas tourner autour de la douleur mais y entrer pour la dépasser. Ne pas penser mais sentir. Ne pas regarder mais sentir. Ne pas écouter mais sentir. Ce qui est en rouge doit être dépassé. Voir au-delà de la douleur dans le contact. Dans le contact on échange avec l'autre. Le contact peut être tactile ou bien utiliser les autres sens. La confiance dans le contact doit faire intervenir trois qualités: la confiance en soi, la confiance en l'autre et l'expressivité. Si l'on se tient droit, si l'on arrive à rester debout, alors on a confiance en soi. Si on n'a pas peur de l'espace autour de soi, si on accepte que l'autre se rapproche ou bien qu'il s'éloigne, alors on a confiance en l'autre. Et enfin si on arrive à faire sortir ce qu'il y a à l'intérieur, la douleur, la souffrance, alors on exprime. Le but est de surpasser la souffrance, de mettre suffisamment celle-ci en forme pour pouvoir la transcender. Peut-on parvenir à trouver son propre guide intérieur si on a réussi dans ces trois démarches? Des régressions sont toujours possibles. Comment les éviter? Comment ne pas répéter?

On ne répète jamais complètement. La recherche du vrai soi. Le moi a plusieurs visages. Ou plutôt on a tous plusieurs moi. Un moi multiple, à mutiples facettes. En est-il un qui soit vrai? C'est la question de la vérité. Si on commence à chercher la vérité, on n'est pas sorti de l'auberge. Dès qu'on a l'impression de l'atteindre elle semble déjà enfuie. C'est une autre démarche que la démarche de l'haptonomie mais ça se rejoint en quelque sorte.


Roman des origines

Parmi mes projets il y a l'intention d'écrire mon autobiographie. Mais aussi la biographie de mon père. Et une biographie personnelle de mon grand-père. Ainsi qu'une sorte de roman familial. A moins que ce ne soient des pièces de théâtre. Il est cependant très difficile de commencer. Il y a un an déjà j'ai commencé une tentative d'autobiographie mais celle-ci a rapidement avorté lorsque j'ai compris la difficulté de la rationalité et de l'exhaustivité. Tout roman est une interprétation. Quand on met en mots une expérience, on sélectionne, on trie parmi les souvenirs et les sensations. Impossible d'écrire la biographie de quelqu'un ou sa propre autobiographie. On ne fait qu'écrire une biographie, une autobiographie. La deuxième difficulté qui n'est pas des moindres est celle qu'il y a à accoucher (accoucher?) d'une oeuvre. L'accouchement sans douleur existe-t-il? On ne peut pas vivre sans créer. On ne peut pas créer sans souffrir. On ne peut pas vivre sans souffrir? La quête du bonheur est donc sans objet. Ce qu'il faut rechercher c'est la joie. La joie de créer. La joie de parler. La joie d'exister. Il n'est pas souhaitable de faire une liste de projets dont on ne viendra jamais à bout. Alors pourquoi ne pas les faire avancer petit à petit? Par morceaux, une brindille après l'autre, une pierre après l'autre.

Je peux tout aussi bien me mettre à écrire ou à peindre que déclarer que je suis le plus grand auteur vivant et m'enfermer dans une chambre sans manger. Un auteur est quelqu'un qui oeuvre. Un artiste est quelqu'un qui travaille. Je n'existe que par le chemin que je parcours et sûrement pas par le chemin déjà parcouru. Tout comme parcourir une ville, un musée, peut faire l'objet de commentaires écrits, parcourir la vie peut aussi amener à un guide touristique. Celui des expériences à vivre. L'inspiration se définit par le manque. Lorsque l'enfant a tout ce qu'il veut, il peut se contenter de cela sans aller chercher les réponses ailleurs. Mais s'il perd une partie de ce qu'il a, il va commencer à gigoter pour essayer de retrouver ce qu'il a perdu. Plus il perd plus il a besoin de chercher. Mais le manque n'est sans doute jamais comblé car retrouver tout, ce serait remonter le temps, revenir en arrière, retrouver l'innocence perdue. La croyance dans le fait qu'il est le centre de son petit monde. Non je ne suis pas le centre de mon petit monde. Car celui-ci est beaucoup plus grand que ce que je croyais. Il ne se résume pas à la maison, au jardin, aux trois rues autour. Il est infini. Donc le manque est infini. On ne peut jamais combler la frustration. Toute jouissance ne peut être que partielle. On doit faire avec. On ne sera plus jamais ce que l'on était à six mois, à un an: chacun n'est qu'un individu parmi la foule, ombre parmi les ombres. Chaque individu a une histoire, chaque histoire a une suite. A vous d'écrire la suite. On ne peut pas vivre sans écrire sa vie. On ne peut exister sans dessiner son destin. On ne peut parler sans composer ses paroles. Cette liberté peut effrayer. Par son mystère. Elle n'en est pas moins là chaque jour. La liberté de choisir ses dépendances. Parce qu'on ne peut vivre sans faire partie d'un système.


On commence à écrire lorsqu'on a perdu quelque chose

On crée pour exorciser la douleur de la perte. A partir de quand ai-je commencé à perdre? Peut-être dès ma naissance. En naissant j'ai perdu la tranquillité du ventre maternel. Et puis lorsque ma soeur est née, j'ai perdu l'exclusivité d'être le premier, le fils unique, le seul. Après j'étais l'aîné, j'étais le numéro un suivi d'un numéro deux. Sommes-nous tous des numéros? Cependant j'ai gagné dans cet événement plus que je n'ai perdu. Mais au décès de mon père, j'ai sans doute perdu plus que je n'ai gagné. Gain, perte, la vie ne se résumerait qu'à cela? C'est Marx qui l'a dit. Mais la création a-t-elle une raison d'être? Forcément puisque certains s'en sortent grâce à cela. Ils se restaurent sur le plan narcissique. Et pourtant, ne serait-ce pas là qu'un délire? L'artiste est peut-être forcément délirant.

Mais que faire d'autre pour pallier au manque affectif? Et puis dans la frustration, il n'y a pas que le manque affectif. On peut être comblé affectivement tout en ressentant toujours la tristesse de ce que l'on a perdu. Le deuil n'a donc rien à voir avec la plénitude affective. Le deuil c'est se contenter de la situation actuelle pour envisager la suite. La prendre comme base pour progresser. Forcément il manque toujours quelque chose. Puisque l'on ne peut récupérer les yens qui ne sont plus là, les instants qui sont déjà passés. Faire du neuf avec du vieux, ce qui a été ressenti mille fois, ce qui a été répété mille autres fois. Le reprendre courageusement pour le transformer grâce à la force de création, d'imagination.


L'angoisse

Aussi longtemps que j'évoluerai, l'angoisse ne partira pas. Il faut apprendre à comprendre les angoisses, savoir d'où elles viennent, leur origine inconsciente et apprendre à lutter contre, les moyens de les surmonter. Lorsque les désirs sont bien conscients, bien nets dans l'esprit, il n'y a pas d'angoisse. L'angoisse c'est l'inconscient qui parle, qui s'exprime comme un feu rouge parce qu'on a refoulé un désir. Lorsqu'on passe son temps à refouler ses désirs, l'angoisse est omniprésente.

Lorsqu'on est inhibé, on a un désir, on le bloque donc on ne le réalise pas. Donc il redevient inconscient donc il essaie de sortir sous une autre forme, un peu comme un flux qui pousserait une porte fermée... l'angoisse. Un névrosé n'est que partiellement conscient de ses conflits intérieurs et extérieurs. On pourrait comparer l'angoisse à une casserole d'eau qui déborde et qui fait sauter le couvercle. l'eau coule sur les côtés (actes manqués, lapsus, langage corporel). Les désirs sont refoulés par le couvercle mais les désirs refoulés deviennent tellement nombreux qu'ils débordent.


L'individu face à la masse

Cette époque me semble on ne peut plus individualiste. La base de la société c'est le couple. Alors que faire quand on n'est pas en couple? En créer un? Toutes mes tentatives échouent. Il faudrait changer tout ça, créer des lieux de parole et de rencontre vraies. S'ils existent déjà !e ne les ai pas rencontrés. Je me sens comme englouti dans le milieu urbain. Paris est pour moi comme un gros monstre qui passe son temps à essayer de digérer les êtres qui veulent essayer d'exister. Quels sont les lieux de rencontre et d'entraide? Les cafés, les restaurants, les écoles, les facs, les lycées, les églises, les jardins, les magasins, les salles de sport... Ce sont des lieux d'activité mais pas de vie. Les gens chez eux sont repliés sur eux-mêmes comme dans des boîtes à sardines. Qu'est-ce que la vie de quartier? Elle est inexistante. En cinq ans que je suis ici, je ne connais personne de mon quartier.

Pourquoi? Parce que.je suis soit à la fac soit chez des amis dans d'autres quartiers, soit dans la famille. Autres quartiers, autres villes. La famille regroupée a disparu de la société depuis des dizaines d'armées. Comment avoir le sentiment d'appartenir à un groupe dans cette société qui n'est qu'un ensemble d'individus amoncelés dans des cages à lapins? C'est pourquoi il y a tant de vide affectif. Tout cela n'est pas commun à tout le monde. J'ai personnellement d'autres difficultés: un caractère un peu anxieux, un peu obsessionnel, un peu effacé; des difficultés qui remontent au passé, le deuil du père qui a été difficile à faire. Cependant je suis persuadé que je ne suis pas à part dans toute cette ville, dans tout ce pays. Combien souffrent de ce vide affectif dû à l'éloignement des uns et des autres, à l'éclatement de la structure familiale classique, aux difficultés de la vie urbaine, à la disparition de l'étayage social ancien? Alors les jeunes ont recours à quoi? Eh bien à la technologie, aux médias, aux drogues pour combler ce vide. Personnellement je préfère la culture, l'art, le travail, les nourritures spirituelles. Cependant personne n'est parfait. Je prends des médicaments depuis plusieurs années, je me surprends souvent en train de zapper ou de jouer aux jeux video ou de consommer à outrance videos, livres, bandes dessinées, magazines et autres pour oublier que l'on est finalement toujours tout seuls au monde.


Le bruit: une pollution urbaine

Les habitants des zones urbaines n'ont plus que partiellement conscience de la fatigue à laquelle ils s'exposent, créée par la société industrielle du dix-neuvième siècle. Cette fatigue a pour origine le bruit. Bruits de circulation, boulevards, carrefours, avenues, rues surchargées; l'automobile et plus généralement les engins à moteur sont devenus le cancer de la société post-moderne. Faites l'expérience: partez une semaine à la campagne puis revenez en ville et tout reviendra plus clairement dans votre esprit. Cependant après quelques jours vous vous réhabituerez et cela n'aura plus d'importance.


Paul-Eric Langevin

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