vendredi 9 décembre 2016

"La tradition viennoise après Mahler", par Paul-Gilbert Langevin (1977)

LA TRADITION VIENNOISE APRÈS MAHLER

Par Paul-Gilbert Langevin


I. PERSPECTIVE

Par un effet de balance assez fréquent en musique - comme aussi en d'autres arts - les principaux maîtres austro-hongrois qui arrivèrent sur le devant de la scène à la suite de Mahler, après avoir connu de leur vivant une enviable notoriété, se sont vus rejetés par la postérité immédiate au bénéfice de la tendance plus radicale représentée par l'école de Schönberg. Une telle situation - il faut le noter - n'est pas uniquement le fait de l'étranger (qui en réalité les a toujours ignorés) : nous avons pu constater sur place qu'elle s'est installée aussi, depuis quelque temps, dans le propre pays des compositeurs. Or, s'agissant d'artistes qui appartiennent pour la plupart à la génération née dans les années soixante-dix, il semble que leurs Centenaires autorisent quelque espoir d'assister maintenant au renversement de cette tendance, et que leur production, exceptionnellement riche et diverse, puisse enfin être réévaluée. Dans une récente publication (1), nous avons pu apporter une première contribution à cette nécessaire prise de conscience. Ce que nous avons en vue ici est donc moins de revenir sur notre précédent travail que d'en préciser certains points importants. Mais esquissons d'abord une vue d'ensemble des principaux mouvements qui coexistèrent dans la dernière période de l'Empire, où la capitale connut une floraison artistique inégalée grâce à la rencontre et à la fusion de personnalités d'origines et de tempéraments multiples. En effet, entre Vienne et les principales villes où se situait l'activité musicale - et qui n'étaient pas uniquement les capitales des futurs « Etats de succession » -, un continuel courant se produisait aussi bien dans un sens que dans l'autre.

1. Le Siècle de Bruckner, Ed. Richard-Masse, Paris, 1975 (La Revue musicale, double numéro 298-299) : v. notamment le Titre IV, p. 137 et suiv., où nous avons donné pour Franz Schmidt un survol biographique que nous éviterons ici.

Parmi les créateurs qui se manifestèrent alors, les uns, après avoir étudié à Vienne, y demeurèrent et y accomplirent toute leur carrière ; d'autres repartirent vers telle ou telle région sans pour autant perdre le contact avec la capitale ; d'autres enfin n'y vécurent à peu près jamais mais ne s'exprimèrent pas moins dans un langage dont la composante viennoise est indéniable ; et ils y furent joués et publiés. Les mêmes clivages pourraient se retrouver parmi les Viennois d'origine, il est vrai en nombre beaucoup plus restreint (2). Ce perpétuel échange justifie la qualification d'« unité à variation » appliquée par notre ami E. P. Stekel, dans sa contribution à notre ouvrage précité, à l'ensemble du legs musical de cette époque. Il y inclut naturellement les groupes importants et originaux (mais hors de notre propos ici) des musiciens qui demeurèrent attachés à leur terroir natal et en assurèrent l'éveil artistique, comme ce fut le cas en Bohême pour l'école de Dvorak. Il faut toutefois observer que même ceux-ci durent pour l'essentiel leur notoriété aux succès qu'ils obtinrent dans la Ville impériale. Une même diversité se retrouve dans les conceptions esthétiques, où l'on peut cependant apercevoir deux courants majeurs : au courant « atonal », puis « sériel », s'oppose en effet celui que nous regroupons sous le vocable de « tradition viennoise », ce terme devant naturellement être entendu au sens noble, et nullement synonyme d'« académisme ». Entre ces deux pôles existent d'ailleurs de fréquentes interférences : un Zemlinsky, un Schreker oscillèrent constamment de l'un à l'autre, et des musiciens beaucoup plus jeunes, comme Ernst Krenek, ne se rallièrent à la série qu'après des débuts très influencés par le monde tonal. Dans la période considérée ici, deux personnalités de premier plan illustrent surtout cette dernière esthétique, tout en relevant chacune d'un des courants « géographiques » décrits plus haut. Né aux confins de la Hongrie et de la Slovaquie, Franz Schmidt (1874-1939) arriva très jeune à Vienne, et y accomplit, avec une constante, réussite, une triple carrière d'interprète, de pédagogue et de créateur. Egalement d'ascendance hongroise (par son père), Franz Schreker (1878-1934) développa à Vienne une large part de son activité, même s'il n'y connut pas ses succès les plus décisifs. Lui aussi fut un pédagogue de grande valeur, à qui toute une génération d'artistes tant autrichiens qu'allemands (il termina sa carrière à Berlin) doit l'essentiel de sa formation.

2. C'est principalement pour cette raison que le groupe réuni autour de Schönberg recevra la désignation d'« Ecole viennoise » : en effet, tous les protagonistes en étaient de purs viennois, ce qui - hormis dans la musique de divertissement - ne s'était plus produit depuis Schubert.

Sans remonter à Karl Goldmark (1830-1915), dont la longévité lui permet de se manifester encore au début de ce siècle, évoquons brièvement au moins les principaux contemporains des précédents. De peu leur aîné, Alexander Zemlinsky (1871-1942) développa successivement à Vienne et à Prague son activité de chef d'orchestre au détriment même de son oeuvre créatrice, dont la valeur fut pourtant toujours reconnue par ses pairs, et d'abord par Arnold Schönberg, son élève et beau-frère ; mais elle commence seulement d'être admise internationalement. Egalement Viennois d'origine, Julius Bittner (1874-1939) possède un remarquable tempérament dramatique, découvert par Mahler, mais dont la versalité ne lui permet pas d'atteindre aux plus hautes destinées. Félix Weingartner (1863-1942), élève de Liszt, et Max von Oberleithner (1868-1935), élève de Bruckner, laissent des pages symphoniques et lyriques non négligeables. A côté de Franz Schmidt, et même s'il resta à l'écart de l'orbite viennoise, il n'est guère possible d'omettre son compatriote et ami d'enfance Ernst von Dohnanyi (1877-1960), qui, après une précoce carrière de virtuose itinérant, devait occuper à Budapest des fonctions de premier plan aussi longtemps que la Hongrie demeura sous un régime plus ou moins lié à l'ancienne monarchie (il émigra ensuite aux Etats-Unis). Mieux que celle d'aucun autre des maîtres précédents, son oeuvre fort vaste répond au vocable même d'« austro-hongroise », avec toutes les implications stylistiques contenues dans une telle définition.

Ensemble, ces artistes illustrèrent tous les domaines de la création musicale, ce qu'aucun n'aurait pu réaliser à lui seul. Depuis Mozart en effet, la musique n'a plus produit aucun génie véritablement universel, c'est-à-dire capable d'une égale réussite dans tous les genres (même Beethoven n'y parvint pas) ! Ainsi, Franz Schmidt est un créateur essentiellement symphonique - il avouait lui-même n'entendre dans (son) for intérieur que de la grande musique d'orchestre. Et ses tentatives lyriques se soldèrent par des échecs dont la qualité de la musique n'est nullement responsable, mais bien l'absence de sens scénique. Au contraire, Franz Schreker ne connut de véritables succès qu'à la scène, et ces succès furent tels que, de son vivant, il put être, en tant que dramaturge, comparé et même préféré à Wagner. En revanche, il s'exprima peu au concert (si ce n'est par le truchement du Lied orchestral) et pas du tout à la chambre. Zemlinsky, quant à lui, laisse des pages marquantes en plusieurs domaines, avec néanmoins une prédilection pour l'art vocal, même dans la symphonie où, à l'instar de Mahler, il introduit le poème chanté (Symphonie n° 3, dite Symphonie lyrique). Grâce à lui d'ailleurs, ainsi qu'à Schreker et à leur cadet Josef Marx (1882-1964), le Lied orchestral connut dans cette période, à la suite de Mahler et de Wolf, sa plus remarquable floraison.

Si, par une affinité immédiate, nous passons à la musique instrumentale, nous rencontrons chez chacun des musiciens précités (sauf Schreker) des tentatives diversement heureuses. Mais aucun n'atteint en ce domaine la réussite de Dohnanyi qui, par ce trait particulier, mérita d'être qualifié de Brahms hongrois. Comme on peut s'y attendre, le piano, seul ou accompagné, fut le dépositaire de ses plus belles inspirations. Reste le domaine du sacré, où seul Franz Schmidt donne une page maîtresse, Le Livre aux sept Sceaux, accompagnée d'une oeuvre d'orgue de grande valeur, par laquelle il se rapproche de son contemporain allemand Max Reger. En toute rigueur, il faudrait tenir compte ici de la pléiade de musiciens d'église qui se sont manifestés à la même époque, surtout à la suite de l'Encyclique « Motu proprio » (1903), et auxquels on doit une production d'une extrême fécondité, mais guère susceptible d'atteindre le public du concert. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons la mentionner ici que pour mémoire (3).

Quant à la génération suivante, née dans les dernières années du siècle - ce qui la situe, elle aussi, à la limite de notre propos -, elle se verra confrontée à son tour au même dilemme. Les solutions qu'elle lui apportera manifesteront souvent un effort de synthèse, comme chez Egon Wellesz (1885-1974) ou chez Johann Nepomuk David (né en 1895) ; tandis que des personnalités aussi fortes qu'Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), le très précoce auteur de l'opéra "Die tote Stadt" , ou le symphoniste Eric-Paul Stekel (né en 1898) demeureront dans une ligne nettement plus traditionnelle. Dans les pages qui suivent - compte tenu de l'impossibilité de détailler l'étude de chacun des musiciens importants que nous venons de citer, nous voudrions au moins offrir à l'auditeur curieux quelques éléments de connaissance concernant les deux personnalités majeures que sont Franz Schmidt et Franz Schreker.

3. A titre d'exemple, l'artiste le plus représentatif de la génération qui nous occupe, Vinzenz Goller (1873-1953), est l'auteur de quarante Messes et de plus de deux cents motets ou hymnes!


II. LE CAS FRANZ SCHMIDT

Avec un demi-siècle de décalage, la situation de Franz Schmidt au regard de la postérité - et singulièrement du monde latin - présente certaines similitudes avec ce qui fut celle de son maître An ton Bruckner. Les différences ne sont pas moins notables. Essayons brièvement de circonscrire les unes et les autres. On sait qu'aux yeux de ses contemporains, Anton Bruckner passait tantôt pour un auteur d'avant-garde, brandissant notamment la bannière wagnérienne, tantôt pour un rêveur sans originalité, image qui s'est hélas perpétuée bien trop longtemps à l'étranger ! Ayant retenu de lui, sinon l'idiome - inimitable -, du moins la leçon d'exigence vis-à-vis de soi-même et la hauteur de l'idéal artistique, Franz Schmidt se voit confronté à un monde sonore en plein bouleversement, à la remise en question de tous les fondements mélodique, rythmique, harmonique du langage musical ; bref, à une situation qui, d'évolutive qu'elle était demeurée jusques et y compris chez Bruckner et chez Mahler, est brusquement devenue révolutionnaire avec les premiers essais d'Arnold Schönberg et de ses coéquipiers sur la voie de l'atonalisme puis de la série. Pour lui, il ne peut être question d'emboîter le pas à une aussi totale négation du passé, même s'il en pressent dès l'origine les potentialités. Mais il en mesure aussi les dangers, dont le principal - qui hélas n'allait que trop se vérifier - était de voir la musique abandonner tout caractère national ou ethnique, se couper de ses sources profondes, et se rendre, de ce fait, incompréhensible au plus grand nombre. Une telle perspective était - faut-il le souligner ? -inacceptable à ses yeux. Il ne respecte pas moins l'engagement de ses confrères, apportant même sa pierre à leur renommée en accueillant notamment le groupe des « Neutöner » pour une soirée (26 avril 1929) à la "Akademie für Musik", dont il assure alors la direction. Mais dans son art, il recherchera essentiellement la continuité par rapport aux grandes formes pratiquées avant lui, leur insufflant par son génie mélodique une force nouvelle, et orientant surtout ses recherches vers la résolution du problème de la synthèse de certaines de ces formes plutôt que de la création d'une syntaxe nouvelle.

Ainsi, toute son oeuvre symphonique tend vers une combinaison très originale du principe de la forme-sonate et de celui de la Variation. Trois partitions essentielles au moins illustrent cet itinéraire : la Symphonie n° 2 en mi bémol (1911-1913), les "Variationen über ein Husarenlied" (1931) et la Symphonie n° 4 en ut (1933). La première d'entre elles demeure sans conteste la plus remarquable, car non seulement le mouvement central y réalise une solution géniale du problème ainsi posé, mais l'ensemble de l'oeuvre manifeste une puissance inventive et architecturale seulement comparable aux grands modèles brucknériens. En outre, le compositeur s'exprime ici avec une merveilleuse aisance dans un langage spécifiquement viennois, chaleureux, rayonnant de plénitude et de magnificence orchestrale. Par sa signification historique et esthétique, il s'agit donc d'une musique authentiquement engagée ; et même certaines couleurs straussiennes ne peuvent lui enlever ce caractère, tant elles paraissent ici à leur place naturelle, alors que chez l'auteur de Zarathoustra il s'agit toujours plus ou moins d'un fard destiné à masquer la superficialité du propos. La 2ème Symphonie de Franz Schmidt demeure donc un des grands moments, non seulement de la symphonie viennoise, mais de l'art de notre siècle ; et il faut espérer que notre pays - qui ne l'entendit qu'une seule fois, en 1928! -se verra bientôt offrir l'occasion de la reconnaître pour telle. A côté d'elle, les Variations de 1931 et la 4ème Symphonie confirment, chacune d'une façon particulière, la tendance de l'oeuvre précédente. Les "Variationen über ein Husarenlied" représentent certainement, chez Franz Schmidt, l'oeuvre où se dénote le mieux l'influence hongroise (héritée du côté maternel) ; le thème a pu aussi être apparenté à un chant slovaque. Cela ne surprend pas quand on sait que la ville natale du musicien, Posonyi, après avoir été longtemps la capitale des rois de Hongrie, est devenue aujourd'hui, sous le nom de Bratislava, celle de la Slovaquie autonome. Formellement, cette magistrale pièce d'orchestre, où l'on peut voir l'expression moderne d'une tradition illustrée antérieurement par Brahms, Goldmark et Reger, et à la même époque par Kodaly (Variations sur Le Paon), concrétise un propos inverse de celui de la symphonie en réalisant une structure symphonique à l'intérieur d'une série de variations. Quant à la 4ème Symphonie, elle pousse, elle aussi, la structure unitaire à un très haut degré de perfection, mais en appliquant la Variation à un mouvement de sonate en perpétuel devenir où se retrouvent, avec les contrastes habituels, les quatre épisodes normaux de la symphonie traditionnelle.

Des préoccupations du même ordre interviennent dans toute l'oeuvre de Franz Schmidt en dehors même de l'orchestre. Dans ses opéras, il fut le premier, avant Busoni et Alban Berg, à introduire des formes instrumentales. Quant à son oeuvre d'orgue, elle offre un caractère ouvertement néo-classique. A côté du chef d'oeuvre incon-testé qu'est la vaste Chaconne en ut dièse (1925), on y rencontre deux Toccatas, plusieurs Préludes et Fugues, des Préludes de choral, et ici encore une importante série de Variations, celles sur un thème original tiré de l'opéra Fredigundis, et rédigées sous quatre formes successives (1916 à 1924). Par cette facture contrapuntique autant que par la veine mélodique au chromatisme poussé, ce bel ensemble s'inscrit donc bien dans l'héritage de Max Reger, tout en rejoignant le courant dit « néo-classique » très en honneur à son époque et repré-senté notamment par les musiciens de l'école de Paris. Deux autres domaines, nous l'avons vu, doivent à Franz Schmidt des pages précieuses : la musique de chambre et l'oratorio. Son oeuvre instrumentale est née d'une double impulsion. Ce remarquable violoncelliste (il fut membre de l'orchestre philharmonique et professa son instrument à l'académie durant un bon quart de siècle) ne connaissait de meilleure détente que de réunir chez lui quelques proches amis pour de longues séances de quatuor. Ses deux beaux Quatuors à cordes (la majeur, 1925 ; sol majeur, 1929) doivent pour une part leur existence à cette pratique, qui conditionne notamment leur écriture simple et chantante. Quant aux trois Quintettes (avec piano en sol majeur, 1926 ; avec piano et clarinette en si bémol, 1932, et en la majeur, 1938), ils tirent, on le sait, leur origine de la mésaventure survenue au pianiste Paul von Wittgenstein, qui avait perdu le bras droit à la guerre. Et il en va de même des deux grandes pages concertantes que sont les Variations sur un thème de Beethoven (1923) et le Concerto en mi bémol (1934). Toutes ces oeuvres sont donc rédigées originairement pour main gauche seule ; mais Friedrich Wührer en réalisa par la suite des transcriptions pour deux mains, dont le bien-fondé demeure discuté.

Mis à part ses deux opéras, Le Livre aux sept Sceaux (1935-36, créé le 15 juin 1938 à Vienne) est la partition la plus vaste qu'ait laissée Franz Schmidt, la seule aussi - avec la 4e Symphonie - qui ait jusqu'à maintenant franchi les limites du monde germanique. Si l'on peut penser qu'à l'origine, la conception en fut liée aux souffrances intimes du musicien -sa maladie, et la mort de sa fille unique-, l'oeuvre prit, avec le recul du temps, une signification prophétique que l'auteur n'avait peut-être pas consciemment prévue. Mais comment ne pas voir dans cette grandiose adaptation de l'Apocalypse une pré-monition du drame planétaire qui se préparait ? La réalisation musicale trouve, une fois encore, le compositeur égal à lui-même dans sa préoccupation de donner, dans un éclairage contemporain, une réplique aux vastes oratorios de l'âge baroque. A travers Brahms et Mendelssohn, c'est de Haendel qu'il se rapproche ici, sans renier à aucun moment sa propre appartenance au romantisme viennois. C'est ce qui fit l'immense succès de ce chef-d'oeuvre, dont chaque reprise constitue aujourd'hui encore un événement.

S'il avait quitté la scène sur cette éclatante réussite, la renommée de Franz Schmidt eût évité le handicap qu'elle connaît depuis la dernière guerre mondiale, et qu'il convient, pour terminer, d'évoquer au moins brièvement. Il trouve son origine dans l'oeuvre ultime, laissée inachevée par le compositeur et complétée par Robert Wagner, la cantate Deutsche Auferstehung (4). Le texte, qui lui fut soumis en 1938, au lendemain de l'Anschluss, par son ancien élève Oskar Dietrich, n'est rien de moins qu'une exaltation non déguisée des théories national-socialistes. En acceptant de le mettre en musique, le compositeur prit le risque de voir son nom associé à un régime à l'égard duquel il n'était suspect d'aucune sympathie particulière, ne serait-ce que par le fait qu'il s'était toujours tenu à l'écart du monde de la politique. Faute de documents de première main, il ne nous est guère aisé d'apprécier jusqu'à quel point la requête de Dietrich prit une forme comminatoire, et de quelles pressions elle s'accompagna. Ceux qui ont aujourd'hui la charge de défendre la mémoire de Franz Schmidt arguent surtout de la crainte éprouvée par le musicien qu'en cas de refus, son oeuvre entière soit mise à l'index et réduite au silence, ainsi que ce fut le cas pour tant de grands artistes de l'époque. Pour le vieil homme déjà mortellement malade, il s'agissait de la pire menace qui pouvait l'atteindre. N'est-il pas navrant de constater que le sort qu'il évita alors lui est aujourd'hui - et pour combien de temps encore? - infligé par l'Occident prétendûment libéral !... (5)

4. L'oeuvre inclut comme Interlude, entre les deux parties principales, la logo solemnis pour orgue et cuivres, écrite au cours de l'été 1938 et qui est donc la dernière page achevée par Franz Schmidt. Elle s'exécute aujourd'hui isolément.

5. Notre ami Friedrich Jölly Jr., Secrétaire de la "Franz-Schmidt-Gemeinde", nous rapportait récemment la décision d'un responsable new-yorkais, stipulant que nonobstant la valeur intrinsèque de sa musique, «le nom de Franz Schmidt ne pouvait pas apparaître sur une affiche!» Heureusement, cette attitude semble davantage le fait d'un individu que du public américain dans son ensemble.


III. FRANZ SCHREKER DRAMATURGE

En dépit des graves conséquences de la guerre, les années de la République allemande furent pour la vie musicale de la capitale, Berlin, la période peut-être la plus brillante de son histoire, grâce à la présence simultanée d'exécutants et de pédagogues de génie. Or, le fait mérite d'être souligné, que les plus fameux d'entre eux étaient originaires de l'orbite viennoise, qui fécondait ainsi tout le monde germanique, même en dehors des limites de l'Empire. A côté du chef de la Philharmonie, Artur Nikisch, la "Hochschule für Musik" compta ainsi, entre 1920 et 1933, trois maîtres dont le souvenir est devenu légendaire: Ferruccio Busoni, qui y mourut en 1924 ; Arnold Schönberg, qui lui succéda en 1925 ; et de 1920 à sa démission forcée, le directeur Franz Schreker. Il y enseignait en outre la composition, ainsi qu'il l'avait fait au cours des huit années précédentes (1912-1920) à Vienne ; et l'on peut mesurer son prestige par le seul fait que plusieurs de ses élèves, et non des moindres : Aloïs Haba, Jasha Horenstein, Ernst Krenek, Aloïs Melichar..., le suivirent de l'une à l'autre villes. Cependant, ne nous laissons pas abuser par la réputation ainsi acquise par notre musicien. Son rôle pédagogique, certes essentiel, ne doit pas être plus déterminant pour sa gloire posthume qu'il ne l'est dans les cas célèbres de César Franck, d'Anton Bruckner, et plus près de lui (et de nous) d'Arnold Schönberg. Or, il a pris le pas sur son oeuvre créatrice d'une manière comparable à ce qui s'est produit pour Busoni. Dans un cas comme dans l'autre, la raison doit en être recherchée non pas seulement dans les prodigieux succès remportés par ces musiciens de leur vivant (succès toujours quelque peu suspects, comme nous le remarquions en exergue, à la postérité immédiate) ; mais aussi dans une certaine ambiguïté stylistique qui a rendu difficile, jusqu'à maintenant, de situer clairement les oeuvres de l'un et de l'autre vis-à-vis de l'évolution musicale si rapide de leur temps. Une cause supplémentaire de méconnaissance s'ajoute dans le cas de Schreker : c'est la dimension même de ses partitions essentielles, de ces huit grands opéras qui forment pourtant l'ensemble le plus vaste et le plus cohérent produit au cours du premier tiers de ce siècle.

Fils d'un photographe israélite converti au protestantisme, d'origine bohémienne mais résidant en Hongrie, et d'une jeune catholique autrichienne de vingt ans la cadette de son mari, Franz Schrecker (il abandonnera le second «c» de son nom en publiant ses premières oeuvres) naquit le 23 mars 1878 à Monaco, où son père connaissait une brève halte sur le chemin d'une vie vagabonde qui s'achèvera près de Linz dès 1888. Le jeune homme n'héritera pas moins de son père son don visuel, déterminant pour l'efficacité scénique de ses futures créations. Afin de soulager sa mère, venue élever péniblement ses quatre enfants à Vienne, il quitte les siens dès l'âge de quatorze ans pour devenir, grâce à la protection d'un prêtre, organiste à Döbling. Les relations qu'il y acquiert lui permettent d'entrer au Conservatoire de Vienne, où il étudie d'abord le violon, puis - après s'être fait remarquer en fondant à Döbling une société musicale avec laquelle il donne, à seize ans, un concert de ses oeuvres - la composition dans la classe de Robert Fuchs. Ses premiers essais significatifs connaissent un sort enviable, puisque plusieurs d'entre eux sont joués à Vienne dès leur apparition. Il s'agit surtout de pages orchestrales (Symphonie en la mineur, op. 1 ; Intermezzo pour orchestre à cordes, op. 8 ; Ouverture Ekkehard d'après Scheffel, op. 12 (6)), où l'influence notamment de Bruckner est très perceptible, mais qui témoignent déjà du goût du musicien pour une écriture claire et très diversifiée en dépit des effectifs considérables parfois utilisés : caractère qui demeurera une constante de toute son oeuvre. Et dès 1901, il a esquissé un ouvrage lyrique en un acte, Flammen, sur un argument de Dora Leen, qu'il fait exécuter au Bösendorfersaal le 24 mai 1902 en l'accompagnant lui-même au piano. Cet essai n'aura pas de suites immédiates, jusqu'au jour où Schreker, mécontent de tous les livrets qu'on lui présente, décidera de ne se fier qu'à son propre talent, et d'écrire, comme Wagner et comme Busoni, ses poèmes lui-même. En effet, ses talents littéraires se sont également développés au cours de ces années de jeunesse (qui voient aussi éclore la quasi-totalité des Lieder qu'il devait laisser, et auxquels s'ajoute l'instrumentation de deux Lieder de Hugo Wolf); et son goût en ce domaine le porte déjà vers un ésotérisme qui s'accusera désormais un peu plus dans chaque nouveau drame. Cela n'empêche, que le premier opéra de vaste dimension, "Der ferne Klang" (L'écho lointain), écrit au cours d'une période de maturation de près de dix ans (1901- 1910), remporte dès sa création à Francfort (18 août 1912) un succès triomphal. On ne doit pas s'étonner que cet événement ait eu lieu en Allemagne, après que l'Opéra de Vienne eut refusé l'ouvrage et que Franz Schalk eut qualifié d'«impossible embrouillamini» l'extrait, "Nachtstück", que le musicien lui en avait présenté dès 1905. Mais en même temps, ces vicissitudes suffisent à manifester le chemin déjà accompli par Schreker vers un langage non seulement personnel, mais d'avant-garde. A titre d'exemple, il développe dans "Der ferne Klang" une échelle modale qui sera réutilisée quarante ans plus tard par Messiaen.

6. Au-dela de cet opus, Schreker renoncera à numéroter ses oeuvres. Signalons aussi caf Ekkehard fut l'un des sujets d'opéras envisagés par Bruckner.

Parmi les maîtres qu'il se reconnaît alors, on trouve non seulement Wagner et Strauss, mais aussi Debussy, dont il partage à la fois l'enthousiasme pour Maeterlinck et la tendance vers ce que nous appelons aujourd'hui l'impressionnisme. Si bien que l'ensemble de son oeuvre pourrait se laisser définir comme une symbiose extrêmement originale, et demeurée unique, des héritages viennois, wagnérien et debussyste. A Vienne, la réputation de Schreker était déjà bien établie au moins auprès des musiciens de sa génération ; et même en une occasion il avait franchi la rampe grâce à sa pantomime "Der Geburtstag der Infantin" (L'Anniversaire de l'Infante), d'après Oscar Wilde, créée en août 1908 par Grete Wiesenthal sous la direction du compositeur - la suite symphonique qui en fut tirée en 1923 demeure au répertoire (7). A la même époque, le musicien s'est manifesté par une autre initiative qui se situait dans le droit fil à la fois de ses activités de jeunesse et de l'action menée simultanément à Berlin par Busoni - et cela confirme encore le parallélisme de leurs personnalités - : la fondation du « Choeur philharmonique », à la tête duquel il assurera, de 1908 à 1920, un nombre important de créations parmi lesquelles la plus retentissante demeure celle des Gurrelieder de son ami Schönberg (février 1913). Parmi les autres grands musiciens de son temps qu'il servit ainsi : Gustav Mahler, Frederick Delius, Max von Schillings, Cyrill Scott, Alexander von Zemlinsky (Psaume 23)... Enfin, l'année 1909 voit aussi son mariage avec la cantatrice Maria Binder, future créatrice de tous les grands rôles féminins de ses ouvrages, et qui va d'abord l'encourager à reprendre et à terminer "Der ferne Klang". Et c'est à la suite du triomphe de Francfort que le compositeur obtient l'«établissement» tant attendu (8), sa nomination comme professeur à l' "Akademie für Musik" de Vienne, poste qu'il conservera jusqu'à son départ en 1920 pour Berlin. Ce triomphe a encore une autre conséquence immédiate : la scène de Francfort et celle de Vienne se disputent la création de son opéra suivant, "Das Spielwerk und die Prinzessin" (La Princesse et le jouet), qui finalement voit les feux de la rampe simultanément dans les deux villes, le 15 mars 1913 - fait rarissime dans les annales du théâtre lyrique. Mais tandis que Francfort fait à nouveau un succès au compositeur, la représentation viennoise se termine par une quasi-émeute qui se prolonge tard dans la nuit - et dans la rue, et qui rappelle celle qui aura lieu quelques semaines plus tard à Paris, dans cette même « année terrible » de l'art moderne, à la première du Sacre du Printemps !

7. Une version remaniée de la même oeuvre fut représentée en 1927 à Berlin sous le titre "Spanisches Fest".

8. Jusque là, le musicien devait subsister grâce à de petits emplois de bureau.

Ce rapprochement entre Schreker et Stravinsky n'est nullement fortuit, car il s'agit de deux génies qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes dans des oeuvres d'une grande hardiesse au début de leur carrière, mais dont la production ultérieure a plus ou moins dérouté pour des raisons diverses. Non qu'ils ne soient demeurés l'un et l'autre fort capables de se renouveler, et clans des oeuvres qui font date. Mais ils ne pouvaient plus retrouver la même spontanéité, et leurs tentatives pour s'assimiler notamment le système sériel devaient se solder par des échecs. C'est en effet ce que fera Schreker avec "Irrelohe", écrit de 1919 à 1924, créé le 27 mars 1924 à Cologne par Otto Klemperer : ce en quoi, comme le remarque Eric-Paul Stekel, le compositeur contredisait ses propres prises de position (9). Et l'oeuvre allait marquer le début du déclin de sa popularité. La période comprise entre 1912 et 1924 représente donc, pour Schreker, l'apogée de sa carrière. Il conquiert en effet l'auditoire le plus vaste qu'un auteur lyrique ait connu depuis Wagner (beaucoup plus vaste notamment que celui de Richard Strauss à la même époque), grâce à ses deux drames déjà créés et plus encore aux deux suivants, qui demeurent ses pièces maîtresses : "Die Gezeichneten" (Les Stigmatisés), composé de 1912 à 1915, créé en 1918 à Francfort et en 1920 à Vienne ; et "Der Schatzgräber" (Le Chercheur de trésor), écrit entre 1915 et 1918, créé en 1920 à Francfort et représenté la même année à Zurich et en 1922 à Vienne. Ces deux monuments n'auraient jamais dû quitter l'affiche ; et ils apparaissent, dans la perspective du théâtre lyrique de ce siècle, comme des étapes majeures, de la même essence que le Doktor Faust de Busoni ou la Femme sans Ombre de Strauss. C'est dire à quelle aune on doit les mesurer. Encore ne voulons-nous pas tirer un argument trop facile du fait qu'ils fanatisèrent littéralement leurs auditoires de l'époque (ils furent parfois représentés simultanément dans dix pays différents), ni du dithyrambe célèbre que leur consacra Paul Bekker (10), et où il concluait en substance qu'à côté d'eux, Wagner devait être oublié. Ce qui - on s'en doute - causa le plus grand tort au compositeur, surtout à partir du moment où Wagner, précisément, devint le porte-drapeau d'une certaine Allemagne... qui allait faire payer cher à notre musicien à la fois ses succès et la maladresse de ses thuriféraires.

9. Le Siècle de Bruckner (cf. note 1), p. 169.

10. Franz Schreker, "Studio zur Kritik der modernen Oper", Schuster & Berlin, 1919 ; réédité dans le volume "Nette Musik", Stuttgart, 1923.

L'accueil équivoque réservé à "Irrelohe" n'est cependant qu'un signe avant-coureur de la campagne de haine qui se donnera libre cours au début des années trente. Il n'interrompt pas l'activité créatrice de Schreker ; mais le l'ait est significatif que son ouvrage suivant, non seulement n'ait jamais été représenté, mais contienne peut-être les réflexions cruciales de l'auteur sur la destinée de l'oeuvre d'art. Ce sera "Christophorus", mené à bien de 1924 à 1927, publié en 1931 et dédié à Schönberg. L'oeuvre, dont le poème est considéré comme la plus belle réussite littéraire du dramaturge, appelle, assez curieusement, un parallèle avec une autre page maîtresse du théâtre lyrique contemporain, due à l'auteur le plus antinomique possible : le "Palestrina" de Pfitzner, lui aussi préoccupé par le sort réservé à l'artiste au sein d'un monde en pleine évolution ; et leurs philosophies, en définitive, ne sont pas si éloignées. En dépit des menaces grandissantes, Schreker parvient encore à produire deux vastes créations, mais dans des conditions telles que leur sens et leur impact réels n'ont jamais été évalués jusqu'à maintenant : "Der singende Teufel" (Le diable chantant), écrit de 1924 à 1928, créé à Berlin le 10 décembre 1928 ; et surtout "Der Schmied von Gent" (Le Forgeron de Gand), écrit de 1929 à 1932, et qui connaît une première houleuse à la «Deutsche Opernhaus» de Berlin le 29 octobre 1932. Le courageux directeur de cette maison, Paul Breisach, a bravé la mise à l'index décrétée contre le compositeur, lequel a dû, cette année-là, donner sa démission de la Hochschule, et dont l'art est taxé de «décadent» et d'«amoral». Son origine juive - qu'en réalité il n'avait jamais vraiment assumée - n'était qu'un facteur aggravant dans le contexte déjà évoqué ; et les sujets qu'il illustrait dans ses drames, laissant libre cours aux plus violentes passions, mais exaltant aussi la liberté de l'acte créateur tant dans le domaine de l'esprit que dans celui de l'amour charnel, ne pouvaient pas ne pas se heurter de front à la répression nazie. Ces événements tragiques vont, en fait, le mener au tombeau à bref délai. Usé par une vie mouvementée et exceptionnellement laborieuse, ne possédant plus le ressort nécessaire pour se recréer une existence nouvelle au-delà des mers comme le feront tant d'artistes autour de lui, il tombe le 18 décembre 1933 victime d'une grave attaque dont il ne se relèvera pas. Au cours du dernier été de sa vie, passé près de Lisbonne, il a écrit le grand Prélude pour Memnon, qui devait demeurer la seule illustration de cet opéra projeté. Il meurt après quatre mois de quasi-agonie, le 21 mars 1934, à Berlin, sans avoir revu sa patrie autrichienne, dont il avait fait suspendre la carte au-dessus de son lit.

Ce n'est pas ici le lieu de décrire l'action de chacun des huit grands drames schrekériens, dont au demeurant la génialité n'apparaîtra vrai ment que lorsque les scènes auxquelles ils sont destinés consentiront à leur rendre leur place légitime, voire - comme en France - à en donner la primeur. Or, même en pays germanique, les reprises d'après-guerre se comptent sur les doigts de la main : ce qui justifie la remarque de H. H. Stuckenschmidt, suivant laquelle Schreker est «le seul des grands musiciens de l'entre-deux-guerres à qui la postérité ait refusé la chance d'une renaissance (11)». Et dès 1959, son biographe Gösta Neuwirth concluait son excellent petit ouvrage (12) par cette phrase significative : «Le procès du compositeur autrichien Franz Schreker ne doit pas être clos sans qu'un jugement motivé soit intervenu». Que renferment donc ces vastes partitions pour être à ce point intimidantes ? Aux yeux du public actuel, leur esthétique ne peut paraître surannée que si l'on s'en tient à quelques aspects peut-être surchargés de la mise en scène, que rien n'interdit d'élaguer, de simplifier sans pour autant trahir l'idée. Celle-ci, en vérité, s'élève à une signification humaine permanente. Nous avons déjà fait allusion aux passions qui y sont représentées. Leur intervention se justifie, en fait, par une préoccupation constante du dramaturge, qui consiste à mettre en scène, d'une façon ou d'une autre, des êtres profondément marqués par une prédestination : qu'il s'agisse, comme dans "Die Gezeichneten", d'une tare physique, ou comme dans "Christophorus" d'un don artistique. Dans tous les cas, se dégage une réflexion symbolique par laquelle le compositeur rejoint ceux de ses contemporains dont les réussites à cet égard sont les moins contestables (Busoni, Schönberg, le Strauss de "la Femme sans Ombre"...), encore que l'ensemble de son oeuvre possède une unité qui n'existe chez aucun de ceux-ci. Cette unité n'exclut nullement la diversité des formes, puisque les grands drames « wagnériens » médians alternent avec le « mystère » ("Das Spielwerk" dans sa seconde version) et l'opéra féérique ("Der Schmied von Gent"). Cette dernière oeuvre notamment offre une synthèse des plus émouvantes du génie de Schreker, pétri d'amour pour la paix, de tolérance et de bonté, toutes vertus par lesquelles il rejoint les plus grands humanistes de sa génération.

11. H. Schreker-Bures & coll., "Franz Schreker", Verlag E. Lafite, Vienne, 1970 (texte de jaquette).

12. Franz Schreker, Bergland Verlag, Vienne "Österreich-Reihe", vol. 79-80.

Quant à sa démarche musicale, ce que nous en avons déjà dit permet de le définir globalement comme une tentative de synthèse de tradition et de novation, tentative comportant - comme dans le cas de Franz Schmidt - une évidente part de risque, et sur laquelle l'avenir ne devra se prononcer qu'en connaissance de cause. Deux caractères au moins peuvent être mis à l'actif du musicien : son invention mélodique, indubitablement enracinée dans le fonds viennois en dépit des influences déjà signalées ; et son génie de la couleur sonore, qui le situe au tout premier plan parmi les grands maîtres de l'orchestre moderne par la luxuriance et le raffinement des combinaisons qu'il a su créer. Cela rend d'autant plus regrettable la rareté des pages qu'il a données au concert. Trois partitions de maturité seulement, dont on ne connaît vraiment que les deux premières. Le "Vorspiel zu einem Drama", publié en 1914, n'est autre qu'une extension du Prélude de l'opéra "Die Gezeichneten", auquel le compositeur a ajouté un important développement central, qui en fait un admirable mouvement de symphonie. Conçue, quant à elle, pour vingt-trois instruments solistes, la "Kammersymphonie" de 1917 est une partition diaphane et quasi-intimiste, qui contraste fortement avec les drames environnants. Son effectif, et sa forme en un mouvement composé d'épisodes variés, sont les seuls caractères qui la rattachent aux Métamorphoses de Richard Strauss, dont on la rapproche souvent assez arbitrairement, car le contenu musical n'a rien de commun. Quant au Prélude de «Memnon», il demeure encore inédit ; cependant, le fait que la veuve du compositeur ait remis en 1975 l'ensemble des manuscrits en sa possession à la Bibliothèque nationale de Vienne autorise l'espoir de découvrir d'autres richesses insoupçonnées. Et le tout proche Centenaire, auquel l'Opéra de Vienne et surtout le disque se doivent d'apporter la contribution essentielle, pourrait être enfin l'occasion d'une résurrection qui n'a que trop tardé.

Paul-Gilbert LANGEVIN





















Gustav Mahler (1860-1911)




















Franz Schmidt (1874-1939)




















Franz Schreker (1878-1934)




















Paul-Gilbert Langevin (1933-1986)


Le fils du musicologue possède les droits de l'oeuvre.

The son of the musicologist owns the rights of the works.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire