samedi 10 décembre 2016

"La vraie Septième de Schubert et sa résurrection", par Paul-Gilbert Langevin (1978)

La vraie « Septième » de Schubert et sa résurrection

Paul-Gilbert Langevin


Introduction

Les trois symphonies inachevées de Schubert

S'il n'est pas rare qu'un compositeur laisse derrière lui, interrompues par la mort, une ou plusieurs partitions posthumes, le cas de Franz Schubert est unique à la fois par la proportion d'oeuvres inachevées ou fragmentaires contenues dans son catalogue (près du dixième de sa production totale) et par le fait qu'il ne s'agit nullement de ses oeuvres ultimes, mais qu'elles appartiennent à toutes les époques de sa brève carrière. Non seulement leur quantité, mais pour beaucoup d'entre elles leur valeur sont telles, qu'un siècle et demi après la disparition du musicien, la postérité n'est pas encore venue à bout des graves énigmes qu'elles ont suscitées et qu'un volume entier ne serait pas superflu pour en dresser l'inventaire et examiner les solutions qui leur furent apportées. L'une des premières constatations auxquelles conduirait une telle étude est une «accumulation» très insolite de ces inachevés dans la période comprise entre 1819 et 1823, soit à mi-parcours environ de la vie créatrice de Schubert: signe que celui-ci traverse à ce moment un état de crise qui demande quelque explication. Il apparaît assez vite que cette relative impuissance n'est autre que l'expression d'un double drame, l'un physique (l'évolution de la maladie contractée en 1818 à Zselitz), l'autre moral - et plus précisément esthétique -, consistant en une véritable remise en cause des fondements de son art. Le premier de ces drames, hélas! n'était, à l'époque, guère susceptible d'une issue heureuse; du moins devait-il laisser au musicien encore assez de répit pour lui permettre de surmonter le second. De ce dernier en effet, il ne devait pas tarder à sortir à la fois vainqueur et magnifié, pour notre plus grand profit, puisque les six années qui lui restaient à vivre allaient être celles des plus hauts chefs-d'oeuvre, celles du véritable accomplissement. Et que - hormis la grande Sonate pour piano en ut majeur (<Reliquie> D840) et le dernier opéra, <Der Graf von Gleichen> (D918 - on ne devait plus guère y rencontrer d'«inachevés»! Or, ces oeuvres nées sous une mauvaise étoile ne représentent pas moins, pour la plupart, d'inestimables joyaux. Rien qu'entre 1818 et 1823, on dénombre ainsi une demi-douzaine de Sonates pour piano, un mouvement de Quatuor à cordes (n.12 en ut mineur D703), un oratorio (<Lazarus> D689), quatre opéras (<Adrast> D137, <Sakuntala> D701, <Rüdiger> D791 et <Sofie> D982), divers lieder et pièces de moindre étendue, et surtout trois Symphonies. Trois, et donc pas seulement la plus connue d'entre elles, celle qui, sous sa forme tronquée, devait immortaliser son auteur! Les deux autres sont, respectivement: une importante ébauche en ré majeur (D615) de 1818, qui comporte, sous forme de réduction pianistique, neuf fragments plus ou moins étendus, mais dont un seul paraît «achevable» (1); et surtout la grande Symphonie en mi majeur (D729) qui nous occupe ici, et à laquelle (la précédente étant décidément trop parcellaire) doit revenir, chronologiquement, le numéro 7 (2). On sait en effet que, de 1813 à 1818 (3), Schubert avait écrit déjà six Symphonies, dont les manuscrits furent, après sa mort, aisément retrouvés et datés, mais dont une seule (peut-être deux) devait être jouée, et aucune publiée de son vivant. Dans cette considération pratique, On trouve déjà une première raison de l'inachèvement des trois suivantes. Sans être essentiellement mû par l'intérêt immédiat -loin s'en faut-, Schubert ne pouvait pas ne pas se sentir découragé, au moins momentanément, de s'exprimer dans un genre qui ne lui offrait aucun débouché; et s'il venait à entreprendre une symphonie, il était normal qu'il en interrompe la rédaction si l'occasion se présentait de travaux plus immédiatement profitables, sans pour autant que cela signifiât un quelconque «manque d'inspiration»! Sa persévérance, durant dix années, à accumuler les essais lyriques doit, quant à elle, être mise au compte de l'éclat que pouvait valoir à son auteur la réussite d'un ouvrage de théâtre. (Néanmoins, il devait abandonner la partie en 1823, sur un dernier échec, celui de <Rosamunde>, D797.) Or, à cette époque, à Vienne, la symphonie était loin de pouvoir illustrer pareillement celui qui s'y consacrait, puisque même Beethoven ne lui devait pas ses succès décisifs. Et le voisinage même de son grand aîné n'était d'ailleurs pas sans intimider Schubert davantage qu'il ne le stimulait: au point qu'il est légitime de penser que la «crise» à laquelle nous faisions allusion allait être due pour une large part à cette rivalité latente. En effet, durant ces années de doute, Schubert, tout en souhaitant intimement devenir l'égal de Beethoven, ne se sent pas encore suffisamment armé pour y parvenir, en matière sym-phonique notamment. Mais en même temps, il possède une conscience aiguë de l'originalité de sa propre démarche (que nous tenterons plus loin de définir); et il cherche obstinément à l'accomplir: ce qu'il ne réussira pleinement qu'avec sa dernière symphonie, de 1825/1828 (D944) (4). C'est l'intime imbrication de ces circonstances pratiques et esthétiques qui fournit la clé de cette triple tentative des années 1818, 1821 et 1822; et qui, du même coup, définit suffisamment la valeur inestimable de ces trois partitions, et surtout des deux plus «achevées» d'entre elles, les Symphonies en mi majeur (D729) et en si mineur (D759). Or, tandis que cette dernière était admise d'emblée, dès sa redécouverte, pour l'un des sommets de l'art de Schubert, la précédente, non seulement restait dans l'ombre et était considérée avec une condescendance indigne d'elle par la plupart des biographes successifs du compositeur; mais, lors de ses rares exécutions, même dans les réalisations les plus scrupuleuses, ne connaissait que des succès sans lendemain. Une «réhabilitation» nous paraît donc s'imposer, à laquelle nous voudrions nous employer ici.


La partition et son devenir

Davantage que d'«inachevée», la Symphonie en mi devrait être qualifiée d'«incomplète». En effet, contrairement aux deux autres cas, son manuscrit ne comporte aucune lacune (rejoignant ainsi l'exemple de la Dixième de Mahler); mais il n'est rédigé dans tout son détail que jusqu'à la fin de l'exposition du premier thème de l'Allegro. Fait inhabituel chez lui, Schubert ne semble avoir réalisé pour cette symphonie aucun brouillon sur deux portées, comme il le fit pour la plupart des autres (5), mais avoir entrepris d'écrire celle-ci directement en partition d'orchestre. En même temps, cette particularité offre peut-être encore une autre explication de son abandon. Tout se passe comme si, ayant entièrement pensé son oeuvre et ayant pris soin d'en rédiger in extenso les vingt premières pages, le musicien s'était, dans la suite, pour ne pas laisser échapper le fil de son inspiration (6), contenté d'une notation sommaire, remettant à plus tard, en fonction d'une éventuelle possibilité d'exécution, la réalisation du détail. Mais cette notation lui semblait, sans nul doute, suffisamment précise pour qu'une telle réalisation ne soulevât plus aucune difficulté: peut-être même l'idée lui traversa-t-elle l'esprit qu'un autre serait tout aussi capable que lui de la mener à bien. C'est ce que signifiait Sir George Grove (un moment détenteur du précieux manuscrit) lorsqu'il affirmait que Schubert «considérait manifestement l'oeuvre comme non moins achevée sur le papier qu'elle l'était dans son esprit» (7). C'est donc dans un tel état incomplet que cette symphonie, qui porte en entête la date d'août 1821, est passée à la postérité. Bien qu'elle n'ait jamais été imprimée (Mandyczewsky, en effet, renonça à l'inclure dans son Edition complète, car aucune partie n'en était directement exécutable), Otto-Erich Deutsch ne lui attribua pas moins un numéro d'ordre (729) dans son Catalogue thématique. Remarquons toutefois que ce cas ne comporte aucune véritable «énigme», en ce sens que, contrairement à bien d'autres exemples dont plus d'un chez Schubert lui-même, l'existence de cette partition et l'état exact où la laissa le compositeur furent toujours connus sans contestation possible. Seuls purent varier les points de vue des différents spécialistes et des différentes époques sur l'opportunité d'une restitution et les moyens d'y parvenir. Mais ces divergences d'appréciation suffirent à produire le résultat funeste auquel nous assistons encore aujourd'hui, à savoir l'ignorance quasi totale où demeure le monde musical de ce chef-d'oeuvre de Schubert. D'abord détenu par Ferdinand Schubert, le précieux manuscrit fut remis par lui en 1846 à Félix Mendelssohn (qui l'aurait peut-être complété si le temps ne lui en avait fait défaut); puis passa aux mains de Paul Mendelssohn (frère de Félix); enfin, en 1868, de Sir George Grove. Lorsqu'il l'apprit, Johannes Brahms, qui avait lui-même examiné l'oeuvre et renoncé à la retravailler, entra dans une violente colère, craignant que les Anglais n'en fissent une «obscénité» (8). Cette piètre opinion des qualités de scrupule de nos amis d'outre-Manche - il est vrai friands de ce genre de «sauvetage» - n'allait pas tarder à recevoir le plus éclatant démenti; tandis qu'une telle «obscénité» devait être, un demi-siècle plus tard, commise par le propre compatriote du compositeur, Félix Weingartner. En 1880, après l'avoir montré à Arthur Sullivan - qui se récusa lui aussi -, Sir George communiqua ce document unique (dont il n'existait toujours aucune copie) à son ami le compositeur John Francis Barnett (1837-1916) (9) qui, émerveillé par la beauté de l'oeuvre, entreprit aussitôt de la compléter. Après bien des mois de travail, après bien des alternatives de joie et de découragement devant l'ampleur de la tâche (car Schubert ne livre pas d'emblée ses secrets même s'il semble parfois facile de le pasticher), Barnett parvint au terme de son entreprise en 1882, et fit connaître sa réalisation à August Manns, chef des renommés concerts du Crystal Palace, et fervent schubertien à qui l'on devait déjà (entre 1877 et 1881) les créations mondiales des trois premières symphonies de jeunesse du musicien viennois. Enthousiasmé, Manns inscrivit aussitôt l'oeuvre au programme de la saison suivante; et la symphonie ressuscitée retentit pour la première fois le 5 mai 1883 sous la propre direction de son réalisateur. Assez bien reçue par le public pour justifier sa reprise au cours de la saison de 1884, l'oeuvre impressionna diversement la critique, qui admit seulement la «très grande habileté et le loyal talent avec lequel Mr. Barnett s'(était) acquitté de sa tâche» (10). Mais la valeur de l'original ne fut guère perçue, peut-être faute du recul et des éléments de comparaison nécessaires, ou tout simplement parce que la direction de Barnett n'était pas à la hauteur de son talent de réalisateur.... Car comment comprendre, autrement, qu'un critique sérieux ait pu trouver les thèmes «rarement personnels ni saillants» (Musical World), ou le Finale «excessivement faible» (Musical Standard)?... On trouve toutefois dans ces comptes rendus au moins une observation intéressante, lorsque le Standard indique que Barnett semble avoir traité l'ouvrage davantage en «contrapuntiste» qu'en «mélodiste». Mais l'un comme l'autre tombent dans le trop facile argument qui consiste à mettre en doute le bien-fondé du travail accompli. Tandis que la réduction pianistique établie par Barnett lui-même d'après sa réalisation paraissait dès 1883 chez Breitkopf & Härtel, les deux seules copies existantes de la partition complète et du matériel étaient déposées, l'une au Crystal Palace, l'autre aux archives du même éditeur, à Leipzig (11). Et l'adversité s'acharna à nouveau sur le chef-d'oeuvre, car le premier exemplaire fut anéanti en 1936 dans l'incendie du Crystal Palace, et le second en 1943 dans les bombardements qui engloutirent presque tout le fonds Breitkopf. Et, pour qui connaît la seconde réalisation du texte schubertien, proposée en 1934 par Félix Weingartner - et la seule à ce jour à avoir bénéficié d'une certaine notoriété, puisqu'elle fut non seulement publiée (12), mais enregistrée (13) -, il faut bien admettre que c'était là, pour lui, le comble du mauvais sort. Alors que Barnett s'était fixé pour principe, méritoire en son temps, de ne modifier aucune note écrite par Schubert, Weingartner accumula en effet, à une époque où il aurait normalement dû s'en abstenir, toutes les intrusions personnelles possibles et imaginables: coupures (surtout dans les mouvements extrêmes), changements métriques, remplissages intempestifs, modernisation de l'écriture instrumentale, et autres initiatives dont nous donnerons plus loin quelques aperçus éloquents. Tout n'est cependant pas négatif dans cette version (14), où le réalisateur a certes fait la preuve de sa prodigieuse science de l'orchestre, mais où, visiblement, il a tant «tiré la couverture à lui» que sa partition ne mérite plus d'être qualifiée de «Symphonie de Schubert restituée par Weingartner», mais presque de «Symphonie de Weingartner sur des thèmes de Schubert»! A telle enseigne qu'avant même la création à Vienne, l'illustre chef avait été soupçonné de vouloir faire passer une de ses propres sym-phonies pour une oeuvre retrouvée de Schubert. Ce dont, le soir de la première, il se défendit au cours d'une brève allocution, citant notamment cette réplique des <Maîtres chanteurs>:


«Ich würde nie mich zu rühmen wagen,
Ein Lied so schôn wie dies erdacht
Sei von mir Hans Sachs gemacht!» (15)


Mais à quelque chose malheur est bon; et l'excès même des libertés prises par Weingartner détermina en 1948 le musicologue genevois Emile Amoudruz (1882-1967) à entreprendre de reconstituer la partition de Barnett. Pour cela, il disposait à la fois de la réduction pour piano, toujours accessible, et d'une copie personnelle du manuscrit schubertien, dont l'autographe avait été légué par Sir George Grove au Royal College of Music, de Londres (16). Cette copie n'avait cependant pas été réalisée d'après l'original, mais d'après la copie de Mandyczewsky, datant de 1888 et qu'Amoudruz avait pu consulter dès 1911, à Vienne. Mais il prit soin d'aller la confronter à deux reprises (en 1948 et 1949) à l'autographe de Schubert, en même temps qu'il s'efforçait, par un dernier scrupule, de retrouver trace de la partition orchestrale de Barnett: efforts qui, on s'en doute, devaient demeurer vains. La personnalité de cet artiste, dont le rôle en l'occurrence fut aussi essentiel qu'effacé, est assez étonnante pour que nous prenions la peine de le mieux connaître. Ayant accompli des études d'ingénieur avant de se consacrer à la musique, Emile-Jean Amoudruz fut notamment l'élève de Henri Marteau pour le violon et d'Emile Jaques-Dalcroze pour l'harmonie et la théorie. Il participa à plusieurs formations de chambre avant de devenir membre de l'orchestre romand; mais quitta celui-ci sur un désaccord avec un chef d'orchestre qui voulait prendre (lui aussi!) des libertés qu'il ne pouvait admettre avec la Grande Symphonie de Schubert. Venu à Paris au cours de la Première Guerre mondiale pour s'occuper de prisonniers de guerre, il y connut les renommés biographes de Mozart, Théodore de Wyzewa et Georges de Saint-Foix: sa passion pour le musicien salzbourgeois lui ayant servi d'introduction suffisante. Il menait en effet, parallèlement, une activité de musicologue et de collectionneur, rassemblant - souvent copiés de sa propre main -des manuscrits inédits d'auteurs classiques ou préclassiques, dont certains fort peu connus à l'époque (Corelli, Gaspard Fritz,...). La plus grande partie de sa collection se trouve aujourd'hui à la bibliothèque de l'Université de Genève. De sa connaissance intime de l'oeuvre de Schubert sont nées plusieurs orchestrations importantes, comprenant, outre celle de la Symphonie en mi, celles de pièces pour quatre mains (mais dont la texture orchestrale était manifeste) comme l'Ouverture en sol, D668 (d'octobre 1819), ou les grandes Variations sur un air de <Marie>, de Hérold, D908 (de 1827) (17); ainsi que la reconstitution du matériel de l'Ouverture de <Claudine von Villa Bella> (de 1815) D329. C'est en 1950 qu'Emile Amoudruz acheva sa réinstrumentation de la Symphonie en mi. La primeur de cet acte d'amour et de fidélité devait être donnée le 5 mai 1954 à Genève, sous la direction d'Edmond Appia, soixante et onze ans jour pour jour après la création mondiale de la version de Barnett. Et, par un singulier retour du destin, la symphonie fut une fois encore rejouée un an plus tard, le 6 avril 1955, sous la baguette de Peter Maag. Ni l'une ni l'autre de ces exécutions ne satisfit pleinement le réalisateur, non plus, semble-t-il, que la critique, qui n'y fit guère écho. Cependant, tout imparfaites qu'elles furent, elles ont contribué à révéler l'oeuvre; et demeurent (celle, au moins, de 1954) de précieux documents d'archives. Par la suite, Emile Amoudruz, qui avait sensiblement amélioré sa partition après ces deux exécutions, ne tenta plus rien pour la faire connaître (il refusa notamment la proposition de Robert Denzler, qui en avait sollicité l'exclusivité); et ne put non plus la publier. Si bien que la symphonie tomba à nouveau dans un long oubli. C'est pourquoi il faut vivement souhaiter que le Cent cinquantenaire de la mort du compositeur soit enfin l'occasion, pour cet indispensable maillon de la symphonie viennoise, d'un regain d'intérêt décisif.


Essai d'une analyse comparative

1. Les tempi et leur interprétation

Du récit qui précède (18), pourrait se dégager l'impression fallacieuse qu'il est assez vain de prétendre découvrir le vrai visage de la 7ème Symphonie, attendu que celui-ci sera toujours plus ou moins déformé par l'intervention d'une main étrangère. Et qu'en particulier la réalisation récente d'Emile Amoudruz est doublement handicapée par le fait qu'elle n'est, somme toute, qu'une seconde mouture de celle de Barnett: ce qui reviendrait à mettre, entre Schubert et l'auditeur, deux écrans au lieu d'un seul! Certes, nous ne chercherons pas à soutenir que le texte ainsi obtenu puisse correspondre en tout point à ce que le compositeur aurait écrit lui-même s'il avait mené sa partition à terme. Mais l'état dans lequel il a laissé celle-ci était - on l'a dit - suffisamment riche en indications harmoniques et instrumentales pour que toute réalisation établie avec compétence et dans un absolu respect de la lettre du manuscrit puisse «sonner» assez bien pour justifier l'effort de l'adaptateur. Ajoutons à cela que la personnalité même des deux hommes si éminents et intègres à qui nous devons cet extraordinaire «sauvetage» est, en soi, assez fascinante pour susciter, plus que la simple curiosité du spécialiste, une véritable ferveur du monde musical au sens large, pour peu qu'il vienne à en prendre connaissance, ce qui est notre but en ces lignes.

Reste enfin l'essentiel, la valeur intrinsèque de l'oeuvre et sa signification historique, esquissée en débutant, et qu'une analyse sommaire va maintenant nous permettre d'approcher de plus près.

Rédigé sur du papier d'orchestre, le manuscrit de Schubert occupe 167 pages (19), la rédaction détaillée s'interrompant exactement à la fin de la 20e page. Dans toute la suite, ce qui frappe d'emblée, c'est non seulement la continuité déjà remarquée, mais le très petit nombre de ratures, la clarté et la lisibilité parfaites de l'écriture: visiblement le musicien a pris un soin particulier à faire en sorte que l'esquisse demeure, de bout en bout, aisément déchiffrable. Ainsi les nomenclatures instrumentales sont précisées en tête de chaque mouvement; les barres de mesure et, s'il y a lieu, de reprise, sont soigneusement tracées, ainsi que le mot «Fine» sur la dernière page, après la double barre conclusive stylisée sur chaque portée. Enfin, chaque fois que cela lui est apparu nécessaire, Schubert a explicité, non seulement la voix principale, mais diverses voix secondaires. Ainsi en plusieurs passages de l'Andante et du Finale - notamment, pour ce dernier, autour de la barre de reprise de fin d'exposition: preuve indubitable que l'oeuvre était parfaitement conçue dans son esprit.

La symphonie, dont la tonalité principale reprend celle de la plus récente partition du même type de Schubert, l'Ouverture D 648 (de février 1819), comprend les quatre mouvements suivants:

- Adagio en mi mineur à C barré
- Allegro en mi majeur à C (en tout: 408 mesures).
- Andante en la majeur, à 6/8 (117 mesures).
- Scherzo: Allegro en ut, à 3/4, avec Trio en la (en tout: 199 mesures. Avec reprises et Da capo: 500 mesures).
- Finale: Allegro giusto en mi majeur, à 2/4 (626 mesures. Avec la reprise: 900 mesures).

Afin d'offrir un premier élément de comparaison, nous dresserons ici le tableau de ces mêmes mouvements dans les versions respectives de Barnett (réduction), Weingartner et Barnett/Amoudruz:

Mouvement Barnett (réduction), 1883

I Adagio, C barré Noire = 69 Allegro, C Noire = 152 En tout: 408 mesures
II Andante (con moto), 6/8 Croche = 100
III 117 mesures Scherzo: Allegro (vivace), 3/4 Blanche pointée = 112 Trio: Poco meno allegro Blanche pointée = 100 En tout: 200 mesures Avec reprises: 501 mesures
IV Finale: Allegro giusto, 1/4 Noire = 160 626 mesures Avec reprise: 899 mesures

Mouvement Weingartner, 1934

I Adagio (ma non troppo), 4/4 Noire = 54 Allegro, 2/2, Blanche = 80 (second thème: 72) En tout: 396 mesures
II Andante, 6/8 Croche = 76 117 mesures
III Scherzo: Allegro deciso, 3/4 Blanche pointée = 84 Trio: Meno mosso (3/4 dirigieren). Noire = 126 En tout: 201 mesures Avec reprises: 459 mesures
IV Finale: Allegro vivace, 2/4 Noire = 160 584 mesures Pas de reprise

Mouvement Barnett/Amoudruz, 1950

I Adagio, C Noire = 69 environ Allegro moderato, C Noire = 144-152 En tout: 408 mesures
II Andante, 6/8 Croche = 108-116 117 mesures
III Scherzo: Allegro, 3/4 Blanche pointée = 92 Trio: Meno mosso Blanche pointée = 76 En tout: 199 mesures Avec reprises: 500 mesures
IV Finale: Allegro giusto, 2/4 Noire = 112 environ 627 mesures Avec reprise: 900 mesures

De ce simple tableau résultent déjà diverses constatations d'importance. Et d'abord le fait que la fidélité «littérale» doit être considérée distinctement de celle de l'interprétation, laquelle consiste en premier lieu dans le choix des tempi. Celui-ci doit être essentiellement commandé par le souci de restituer une notion du temps qui corresponde au mieux à celle de Schubert. Or, tandis que Weingartner seul s'écarte notablement de la lettre du manuscrit (il en convient lui-même dans son avant-propos), aucun des trois réalisateurs n'a vraiment trouvé le tempo idéal pour l'ensemble de la symphonie.

Prenons l'exemple de la merveilleuse Introduction lente en mi mineur, authentiquement de la main de Schubert, et assurément l'une de ses plus belles inspirations. Il s'y établit d'emblée un climat de mystère, non seulement sans commune mesure avec toutes ses précédentes symphonies, mais qu'il ne retrouvera plus, même dans la Symphonie en si mineur. Le seul terme de comparaison - et l'on verra plus loin comment il se traduit dans les textes - est l'épisode semblable de la Cinquième brucknérienne: ce qui révèle, dès l'abord, l'affinité évidente qui règne dans toute cette symphonie, et qui doit donc gouverner aussi son interprétation. Or, Weingartner est, dans cette entrée en matière, le seul à prescrire un tempo suffisamment recueilli. Pour l'Allegro suivant, on aura intérêt à adopter aussi le tempo le plus modéré, afin de ne pas «rompre le charme». Ce qui, du reste, est facilité par la souplesse lyrique du thème secondaire, lequel exige un notable ralenti (il y a là, à nouveau, un contraste brucknérien avant la lettre).

Quant aux autres mouvements, Weingartner est à nouveau - et avec juste raison - le plus lent dans l'Andante. En revanche, le Scherzo supportera un tempo un peu plus enlevé, accusant mieux les contrastes et préparant à un Finale retenu. Amoudruz semble ici le plus proche de la vérité. Et il est le seul, enfin, à s'être rendu compte que le Finale commande un retour à une conception essentiellement large, afin d'équilibrer l'étendue du premier mouvement. Ici, sans aller jusqu'à Bruckner, il suffit d'évoquer le Finale de la Grande Symphonie en Ut, dont celui-ci représente l'anticipation la plus évidente.


Pour résumer, nous préconiserons les fourchettes suivantes:

I. Adagio: Noire = 48 à 52
Allegro: Blanche = 76 à 80 (second thème, Blanche = 69 à 72)
II. Andante: Croche = 68 à 72
III. Scherzo, Allegro: Blanche pointée = 92 à 100
Trio, Meno mosso: Blanche pointée = 63 à 66
IV. Finale, Allegro giusto: Noire = 112 à 120 (maximum 126 dans les ff et la péroraison).

Dans cette interprétation, l'oeuvre devient ce que manifestement Schubert ambitionnait qu'elle soit, c'est-à-dire la première symphonie où il réussit à étendre son lyrisme fondamental aux dimensions d'une vaste construction quadripartite; et un pont jeté vers la Grande Symphonie en Ut, dont on entrevoit désormais comment elle a pu naître - ce qui, sans la connaissance de celle-ci, demeure une énigme indéchiffrable. Cette ampleur temporelle est d'ailleurs matérialisée par la durée à laquelle nous aboutissons, qui, avec nos indications, est de 42 à 43 minutes (toutes reprises effectuées), tandis que Barnett donnerait environ 38 minutes, et Weingartner - plus lent dans les trois premiers mouvements, mais avec de graves amputations de texte et plusieurs reprises en moins - 34 minutes. On s'explique mieux ainsi que l'oeuvre n'ait pu convaincre ni dans ses exécutions de 1883-84 ni (le début et peut-être l'Andante exceptés) dans le disque de Litschauer.

2. Description de l'oeuvre

Par son effectif instrumental, la 7ème Symphonie manifeste déjà la nouvelle dimension recherchée par le compositeur, puisqu'on y voit apparaître le trio de trombones: et ce, pour la première fois dans une symphonie entière, non seulement de Schubert, mais dans l'absolu. Les seuls précédents sont en effet la 5ème et la 6ème beethovéniennes, où les trombones n'interviennent que dans un ou deux mouvements (20); et chez Schubert lui-même, l'un des premiers exemples concernait la musique dramatique, avec la juvénile Ouverture <Des Teufels Lustschloss> (1813, D 84). Parti-pris d'innovation, donc, évident, et qui se poursuit dans la forme du premier mouvement. Le plan de sonate s'y trouve en effet «contracté» par la fusion du développement et de la reprise, en sorte que les quatre volets classiques (Exposition - Développement - Récapitulation - Coda) se redistribuent en: Introduction - Exposition - Reprise développante - Coda. Mais les proportions sont rétablies avec une remarquable symétrie, car la Coda (56 mesures Allegro) équilibre l'Introduction lente (34 mesures Adagio), tandis que les deux volets centraux se répondent rigoureusement (166 mesures contre 152) (21).

Dans la facture thématique, le trait le plus saillant est l'étonnante unité structurelle, déjà remarquée par Alfred Einstein (22), et que Schubert paraît être aussi le premier à rechercher ici, non seulement à l'intérieur de son premier mouvement, mais dans l'ensemble de sa partition. Elle se traduit par la présence d'une cellule génératrice, sorte de leitmotiv avant la lettre, formée de trois notes montant par degrés conjoints (dont les deux premières en rythme pointé). Elle apparaît aux basses dès la première mesure de l'oeuvre (ex. 1, «x»), donne ensuite naissance au premier thème de l'Allegro; et, si elle ne se décèle pas de façon aussi évidente dans les mouvements centraux, elle tissera de nouveau une trame presque ininterrompue dans tout le Finale. Ici se confirme la continuité entre le langage symphonique de Schubert et celui de Bruckner, car cette facture unitaire, poussée à un degré de perfection extrême, deviendra chez ce dernier un principe fondamental; de même qu'il devait faire un usage particulièrement efficace de la contraction développement - reprise. Notre Symphonie en mi voit donc ainsi se préciser son rôle historique essentiel, celui d'être non seulement le jalon manquant entre les symphonies précoces et tardives de Schubert, mais aussi un antécédent brucknérien de première importance.

Ce rôle est encore accentué par plusieurs détails de facture très originaux du premier mouvement. On a déjà parlé du climat mystérieux de l'Introduction.

Sa parenté avec l'épisode semblable de la 5ème Symphonie de Bruckner s'affirme notamment par leur profil dynamique, avec les brutales ruptures d'intensité, les blocs du tutti s'opposant aux pianissimi impalpables du thème d'expectative, ici confié à la petite harmonie (23) avec l'élément rythmique aux cordes. Alors qu'après le dernier et plus puissant tutti, cette Introduction semble devoir déboucher directement sur l'Allegro, elle est au contraire prolongée de manière très inattendue, et saisissante, par une sixte napolitaine (accord de fa majeur). C'est ensuite seulement que, préparé par le si des cors, s'ouvre l'Allegro principal. Son thème vif et alerte, auquel Alfred Einstein trouve un parfum d'italianisme, contient à nos yeux la quintessence du sourire schubertien; mais on peut aussi en comparer l'étendue (vingt-trois mesures sans redite) à celle du thème initial de la future r Symphonie de Bruckner, d'ailleurs de même tonalité! Et ce faisceau d'affinités est si troublant qu'on est en droit de se demander si l'humble organiste de Saint-Florian n'a pu, à un moment ou à un autre, avoir accès au manuscrit schubertien (24).

Enfin, le thème secondaire, au seuil duquel s'interrompt la rédaction détaillée du manuscrit, est une coulante mélodie en sol majeur, très lyrique et en forte opposition avec ce qui précède (25). Ecrite presque entièrement en notes conjointes, et confiée à la clarinette, elle est fréquemment contrepointée par la cellule d'attaque du thème principal (elle-même dérivée du «leitmotiv»), qui lui servira notamment d'appoggiature dans le tutti de la mesure 162. La reprise développante (mes. 201) ramène les mêmes éléments dans un plan tonal inattendu: ut majeur pour le premier thème, tandis que le second retourne au mi majeur principal, ce qui, selon Maurice J.E. Brown, dénoterait une hésitation de Schubert quant à l'emplacement de la reprise proprement dite. Et il cite Georges Grove, qui, dans la notice de la création de 1883, se demandait si sa propre audace n'aurait pas effrayé le compositeur au point de le dissuader d'achever son œuvre. Or, non seulement il existait déjà chez Schubert d'autres exemples de semblables irrégularités tonales (26) ; mais aucune raison sérieuse ne permet de douter qu'il ait très consciemment réalisé cette contraction formelle, même si elle constitue une innovation majeure. Et soulignons surtout avec quel remarquable sens de l'équilibre, lui-même aussi bien que Bruckner ont su compenser, grâce à elle, l'étendue de leurs données thématiques, de manière que les proportions temporelles demeurent toujours harmonieuses, et que - n'en déplaise à certains esprits chagrins - jamais n'apparaisse aucune véritable «longueur».

Dans le merveilleux Andante en la majeur, la simple grâce des premières symphonies cède le pas à une méditation dont l'approfondissement est rendu perceptible d'emblée par la gravité du chant initial. C'est un grand lied à deux sections, où Einstein voit le point culminant de la partition; et, dans son «harmonie enchanteresse», il le compare à l'Andante de l'Octuor. Maurice J.E. Brown, quant à lui, a mis l'accent sur l'emploi insistant qu'y fait Schubert de tierces descendantes, qui confèrent à la ligne mélodique un caractère de berceuse.

Ces tierces commandent aussi toute l'harmonie; et, dans le cours du mouvement, elles prendront parfois la forme de sixtes, notamment dans une page presque entièrement notée par le compositeur lui-même, où le thème, savamment renversé, se partage entre les basses et la petite harmonie. Quant au plan tonal, avec un épisode en fa dièse mineur, il est à nouveau fort représentatif des libertés dont use Schubert.

Le Scherzo, quant à lui, possède une véhémence dont on chercherait en vain l'équivalent dans les symphonies précédentes - ou plutôt dans la seule qui comportait déjà un mouvement du même type, la Sixième. Solidement fondé sur son rythme ternaire, le thème, en ut majeur, s'élève d'abord sur les notes de l'arpège, pour se rabattre jusqu'au sol grave et terminer par un vigoureux accord de dominante. Toutefois, la rédaction laisse ici une large part d'autonomie au réalisateur, qui sera, il est vrai, guidé par divers traits fort originaux, notamment la présence, dans un passage en ut majeur, de deux ancrages (trilles des violons) sur ut dièse et sur la bémol (mes. 84 et 88). Quant au Trio en la majeur, sa délicate harmonie, en tierces ici encore, introduit un élément souriant dans une facture dont le mouvement général se différencie peu de celui du Scherzo (le choix d'un tempo assez retenu pouvant seul, dans ce cas, introduire l'élément de détente nécessaire).

Avec le vaste Finale, Allegro giusto, nous abordons la partie à la fois la plus controversée, et dont les réalisations divergent le plus, au point que sa durée peut passer du simple au double (!) suivant le texte et le tempo adoptés. Sa métrique (2/4) est celle dont Schubert usera continûment de sa Cinquième à sa dernière symphonie. Mais si, déjà dans la Quatrième puis dans la Sixième, il avait accordé au Finale une importance neuve, l'équilibre parfait par rapport au premier mouvement - cette pierre d'achoppement de la forme symphonique depuis l'origine - paraît ici réalisé pour la première fois, et la seule peut-être chez lui, car il semble être allé plus loin ici que dans l'exemple célèbre de l'Ut majeur.

Exposée sur un battement de cordes dont on notera l'habile syncope, la donnée initiale apparaît d'une naïveté désarmante, telle que seul Dvorak pourra la retrouver. Elle possède aussi ce sourire voilé que révèle le mot pathétique prononcé par Schubert: «Existe-t-il, au fond, une musique gaie? Moi, je n'en connais pas.» Par bien des aspects de sa facture, ce thème rejoint du reste celui du premier mouvement, et d'abord par son étendue (24 mesures). C'est cependant le thème secondaire qui donnera lieu ici au traitement le plus attentif: c'est lui, en fait, qui dominera tout le développement de la même manière que dans la Grande. Cette seconde donnée vaut bien qu'on s'y arrête quelque peu, car elle va notamment assurer l'unité de structure évoquée plus haut en réexploitant le «leitmotiv» au sein de ses deux vastes sections, dont la première (mes. 56) se caractérise par les impérieuses gammes montantes des cordes, et la seconde, véritable «troisième groupe» avant la lettre (mes. 102), par les charmantes évolutions du petit motif de trois notes dans toutes les couleurs instrumentales possibles. L'exposition comporte enfin une section conclusive (mes. 221) dont la figure descendante appelle un traitement contrapuntique.

Après la barre de reprise (à 277), on assiste au même type de contraction entre développement et récapitulation qu'au premier mouvement, avec un parcours tonal tout aussi inattendu mais bien dans la manière de Schubert: premier thème repris en sol majeur (mes. 280), bientôt contrepointé par le «leitmotiv» et modulant en la bémol (!); seconde section au ton principal (mes. 357), mais préparée par un vaste crescendo de quarante mesures. Dans toute cette partie, les différents éléments sont fractionnés, combinés, réélaborés avec un tel art qu'il devient assez arbitraire de vouloir établir des subdivisions précises: en fait, on assiste à un continuel feu d'artifice d'invention dans le détail de l'exploitation des thèmes. Et cela reste vrai de la vaste Coda (mes. 540) qui, au travers d'élans successifs, s'achemine vers la lumineuse et triomphale péroraison.

3. Les réalisations

Si cette rapide analyse a pu rendre perceptible au lecteur, non la magie que seule peut dégager l'audition, mais un peu du cheminement secret qui fut celui de l'inspiration, il en aura -espérons-le - retiré la certitude qu'aucune note, voire aucun silence, n'ont été écrits en vain par Schubert, et que, dans ce chef-d'oeuvre, chaque détail, même le plus minime en apparence, concourt à l'équilibre de l'ensemble. C'est pourquoi la difficulté, mais aussi la noblesse de la tâche du réalisateur résident ici, plus que jamais, dans le respect absolu de chaque valeur écrite. Certes, une large part d'autonomie dans la conduite du contrepoint demeure, de même que dans les choix instrumentaux; et la partition ainsi obtenue n'ambitionnera jamais que d'être, pour reprendre le terme aussi judicieux que modeste appliqué par Deryck Cooke à sa réalisation de la Dixième mahlérienne, une «version exécutable» du texte de Schubert. Tout l'art de la restitution consistera dès lors, par-delà la fidélité au texte, à demeurer en harmonie avec l'esprit de l'oeuvre et avec sa vérité historique. Car, au rebours de la démarche qui consiste à écrire un pastiche anachronique, rien n'est plus facile, en pareil cas, que de déplacer l'oeuvre vers notre temps d'autant plus qu'elle était, à son époque, en avance sur le sien. En d'autres termes, s'il est nécessaire d'admettre quelque audace, il faut surtout en connaître la limite, savoir «jusqu'où ne pas aller trop loin». C'est sur la base de tels principes que nous esquisserons la confrontation des deux textes en présence.

Nous ne saurions, ici, éluder la difficulté comme le fit tel auteur anglais déjà cité, qui, tout en reconnaissant du mérite à chaque réalisation, les renvoyait dos à dos en concluant: «Plutôt que cela, mieux vaut pas de Schubert du tout» (27)! Cette dérobade n'est explicable que si l'auteur n'a pas pu consulter la version de Barnett, tant est évidente sa supériorité. Dès l'abord - c'est-à-dire dès la première mesure nécessitant l'intervention du réalisateur, page 21 de l'autographe -, se révèle en effet la complète opposition entre les principes directeurs adoptés par Barnett d'une part, par Weingartner de l'autre. En présence de la double mesure de silence qui sépare la fin du tutti sur le premier thème de l'entrée du second, Weingartner ne peut s'empêcher, comme s'il avait «peur du vide», de le combler par des attaques de cordes doublées d'un roulement de timbales, ce qui ne peut être qualifié que de «remplissage».

Or, si l'on se reporte a l'entrée du premier thème, on s'aperçoit que celui-ci était déjà amené par un silence exactement semblable. Et si ce parallélisme a été voulu par Schubert, nul ne peut y contrevenir sans commettre une trahison d'une exceptionnelle gravité. Car la valeur du silence chez les maîtres viennois n'est plus à démontrer (28), et aurait dû échapper à Weingartner moins qu'à tout autre! Des abus du même ordre se rencontrent en fin d'exposition, où Weingartner commence par supprimer 8 mesures (186 à 193 de l'original, ce qui, à la rigueur, est admissible, car elles répètent, à peine altérées, les 8 mesures précédentes); puis, dans les 4 mesures suivantes, il couvre le trait des violons par une clameur de trombones non seulement anachronique mais de fort mauvais goût: nulle part, en effet, Schubert n'a mis les trombones aussi en relief - ni son style propre ni la technique de l'époque ne pouvaient l'admettre (et le même passage se retrouve en fin de reprise, traité de la même manière).

Bref, bien plus qu'il n'a servi l'oeuvre, Weingartner s'est manifestement servi d'elle; et cela seul rend son travail caduc même si l'on peut, en certains points, en admirer le sens de la couleur ou l'habileté due au métier. Mais s'il conservait encore quelques partisans, ce qui (espérons-le) les en détournera définitivement, c'est le «traitement» qu'il a fait subir au Finale. Non content de lui prescrire un tempo qui «court la poste», il accumule les coupures, les recompositions (passages s'écartant complètement de l'original), et même certaines additions. Ces divergences sont trop nombreuses pour être détaillées une à une: nous en avons relevé plus de vingt, portant sur près de deux cents mesures au total (29). Ce qui a pour effet de ruiner complètement l'équilibre voulu par Schubert, et de réduire ce Finale à une rapide pirouette «à la Haydn», dont la durée totale est ramenée à moins de 7 minutes (au lieu de treize)!

Face à ce massacre, que nous proposent Barnett et Amoudruz (car il faut les considérer distinctement, le second ayant sur quelques points «amélioré» le premier en simplifiant des voix secondaires surabondantes)? La qualité essentielle du travail de Barnett, on l'a dit, est son exemplaire fidélité. Fidélité littérale certes - la confrontation minutieuse du seul document qui nous permette de le connaître (sa réduction pianistique) avec l'original ne nous a pas permis de constater qu'une seule note de Schubert ait été omise ou modifiée. Mais aussi fidélité spirituelle dans la réalisation harmonique et l'écriture instrumentale. Dans son livre déjà mentionné (30), Barnett a donné diverses précisions sur les difficultés rencontrées et les solutions apportées. Ainsi, au premier mouvement (mes. 152-154), l'addition d'une pédale de si bémol permet d'assurer une meilleure assise au cheminement harmonique (Weingartner, quant à lui, s'en abstiendra).

Au début du scherzo, voici un exemple de réalisation contrapuntique d'après la simple ligne mélodique décrite par Schubert.

Quant à l'Andante, la comparaison des réalisations de Barnett et de Weingartner est des plus intéressantes, car ce dernier se révèle ici tout aussi fidèle au texte que son prédécesseur, et seule leur sensibilité musicale est donc en cause. Voici leurs débuts respectifs, faisant apparaître la divergence des contrepoints dont ils ont orné ce thème magnifique.

Nous nous trouvons ici en présence d'un choix difficile, d'autant qu'il faut remonter à la 5ème Symphonie (1816) pour trouver un début d'Andante ainsi confié entièrement au quatuor, dans un climat méditatif comparable (celui de la Sixième est d'un tout autre caractère). Un terme valable de comparaison ne pourrait se trouver que dans les derniers Quatuors, mais le 13ème (D 804) et le 14ème (D 810) comportent des thèmes à variations, dont l'harmonisation initiale est donc nécessairement plus simple. Alors, le merveilleux fragment d'Andante en la bémol qui devait faire suite au célèbre Quartettsatz (D 703)? Sa date (décembre 1820) en fait une référence toute indiquée, mais il est, lui aussi, resté sur le métier... Pour ce mouvement (et pour celui-là seul), nous devrons donc nous abstenir de tout jugement préférentiel, et nous féliciter au contraire de posséder les deux versions, quitte à les exécuter toutes deux l'une après l'autre. Mais ce joyau mérite bien d'être bissé!... Notons enfin, dans cet Andante, un des rares passages où la reconstitution instrumentale d'Amoudruz a «corrigé» Barnett, en renonçant a couvrir un trait des basses (entre crochets) qui, en effet, se suffit parfaitement à lui-même.

En orchestrant, Amoudruz a judicieusement réservé la doublure des bassons à la seconde intervention du trait (3ème mesure de notre exemple), à laquelle il donne ainsi plus de poids (Weingartner les utilise les deux fois).

Mais c'est dans la restitution du Finale que le talent de Barnett et celui d'Amoudruz se sont conjugués pour aboutir à la plus totale réussite, en dépit de l'apparente complexité de la tâche imposée par l'aspect souvent très ténu de la trame fournie par Schubert. Par l'ampleur de son mouvement et la constante beauté de sa réalisation sonore, ce Finale s'affirme comme l'un des plus authentiques sommets de la symphonie romantique, seulement comparable à celui de la Grande, et peut-être supérieur par la diversité rythmique: car si son élan est tout aussi vigoureux, on n'y trouve pas la même répétition obstinée, pour ne pas dire obsessionnelle, du motif directeur. Point n'est besoin d'entrer ici dans une comparaison plus détaillée, puisqu'aussi bien nous avons démontré plus haut que Weingartner n'offre pas une alternative valable. Il suffit dès lors que parle la musique, et quelle musique! Au point que l'entrée de ce Finale - et, peut-on dire, de la symphonie entière - à la fois dans la pratique courante du concert et dans le domaine général des études musicologiques et critiques, serait de nature à modifier radicalement notre perspective sur le devenir de la symphonie viennoise, et par là-même, de la forme symphonique en tant que telle.

Située en effet au point crucial qui voit le futur auteur de <Rosamunde> se dégager de ses essais de jeunesse, la Symphonie en mi a permis à Schubert de prendre conscience de sa capacité à concevoir une vaste entreprise symphonique à la mesure de son ambition. Elle est le premier témoin de ses efforts victorieux pour donner à l'héritage mozartien (31) une dimension nouvelle et indépendante du modèle beethovénien. C'est en écrivant cette partition - et elle seule - que Schubert s'est forgé l'épée de Siegfried qui allait lui permettre d'entrer dans la carrière de symphoniste à armes égales avec son grand rival. En un mot, c'est dans la Symphonie en mi que Schubert, en tant que symphoniste, est devenu lui-même. C'est donc elle, avant celle de 1828, qui mérite d'être qualifiée de «première Grande symphonie» du jeune maître, et qui, par là-même, apparaît désormais comme l'œuvre-charnière autour de laquelle tout le destin de la symphonie viennoise a basculé pour entrer dans l'ère d'une nouvelle conception dimensionnelle.

Lorsqu'on mesure l'impact qu'a connu la Symphonie en Ut, plus encore que celle en si mineur, sur tous les successeurs de Schubert (non seulement Bruckner, mais Schumann, Brahms, Dvorak, Mahler, Franz Schmidt, et tant d'autres...), on peut à bon droit s'interroger sur ce qu'eût modifié, dans l'histoire de la symphonie, une diffusion plus précoce de celle qui nous occupe ici, et sur ce que lui a fait perdre l'échec relatif, puis la destruction de la merveilleuse réalisation de J. F. Barnett. Une réalisation aujourd'hui ressuscitée grâce à la ferveur de cet autre méconnu qu'est Emile Amoudruz, et dont on espère que l'édition prochaine lui permettra enfin d'atteindre l'audience universelle qui devrait être la sienne.

Paul-Gilbert Langevin


* Notes

1. L'autographe se trouve à la Bibliothèque municipale de Vienne. M.J.E. Brown en a donné une brève analyse dans son excellent opuscule Schubert's Symphonies (BBC Music Guides, Londres 1970, 1976). Récemment, une étude méthodique menée par Ernst Hilmar (à paraître dans l'Oesterreichische Musikzeitschrift) a montré que ce manuscrit regroupe en réalité des esquisses de dates diverses, mais comprises pour la plupart entre 1818 et 1821.

2. Ce numéro n'avait été attribué fallacieusement à la Grande Symphonie en ut qu'en vertu de l'ordre de publication. Mais, repris dans l'édition Breitkopf, il s'est perpétué jusqu'à nos jours. Espérons que la prochaine Edition intégrale y mettra bon ordre et l'attribuera logiquement à la Symphonie en mi.

3. D'un essai antérieur (1812) ne subsistent que des fragments du premier mouvement.

4. En admettant que la «Symphonie de Gastein» soit un premier état de la Grande.

5. C'est à ce processus que l'on doit notamment de posséder une esquisse presque complète pour le Scherzo de la 8ème Symphonie, tandis que son instrumentation a été abandonnée à la deuxième page. Nous aurons bientôt l'occasion d'y revenir.

6. Quiconque a tenté un jour de réaliser ne fût-ce qu'une page d'orchestration peut comprendre combien fastidieux est ce travail, et combien lent, comparé à la rapidité de la pensée.... et du déroulement de la musique!

7. Grove's Dictionary of Music and Musicians, 5ème éd. 

8. «Eine Unzucht» (lettre à Joachim, de décembre 1868). Le fait que des compositeurs de grand renom n'aient pas consenti à entreprendre cette réalisation n'a rien de surprenant en soi; et c'est probablement préférable, car ils n'auraient pu éviter d'y projeter par trop leur propre personnalité. Ainsi Schönberg renonça-t-il à compléter la Dixième de Mahler ou le <Faust> de Busoni; et ce travail fut-il l'oeuvre d'honnêtes artisans, non de créateurs de premier plan. Or, personne n'en met plus en doute le bien-fondé, même dans le premier exemple; voir D. Cooke: «La Dixième Symphonie de Mahler et son histoire», in RMS 117 (1977), p. 129-137.

9. Neveu et homonyme de John Barnett (1802-1890), chanteur et compositeur lyrique qui eut son heure de gloire, J.F.Barnett a publié à Londres, en 1906, un ouvrage intitulé Musical Reminiscences and Impressions, où il consacre un important chapitre à sa réalisation de la Symphonie en mi. Il y raconte notamment comment il crut un jour l'autographe de Schubert définitivement perdu, l'ayant prêté à l'auteur chargé de l'analyser pour le dictionnaire de Grove, qui l'oublia dans un train!

10. T.C. Southgate (The Musical Standard, 12 mai 1883). Nous devons ce document, ainsi que la coupure du Musical World (même date) d'où est tirée la citation suivante, à l'amabilité de Madame Veuve E. Amoudruz. Par ailleurs, nous avons emprunté certaines données historiques à la préface écrite par Emile Amoudruz pour sa réalisation inédite.

11. Il est toutefois possible que cette seconde copie n'ait été autre que l'exemplaire personnel de J.F. Barnett, qu'il conserva jusqu'à sa mort, en 1916. Mais nous ne sommes pas en mesure de préciser ce point, pas plus que n'avait pu le faire E. Amoudruz lui-même.

12. Universal-Edition, Vienne [1934], référence 10.208.

13. Par l'orchestre de l'Opéra de Vienne, direction Franz Litschauer (Vanguard VRS 427, mono, repris par Amadeo; une réédition en stéréo artificielle a paru à Londres vers 1970, groupée avec la version orchestrale du Grand Duo par Joachim, en un album de 2 disques intitulé "Two Schubert Rarities": VSD 71 101-02).

14. Ainsi, certaines indications métronomiques de Weingartner semblent préférables à celles de Barnett, en particulier pour les deux premiers mouvements. Schubert, de toute manière, n'en avait donné aucune. Voir plus loin notre analyse.

15. «Je ne me risquerais jamais à prétendre qu'un chant d'une si magnifique invention ait pu être créé par moi, Hans Sachs.» Nous devons cette relation à notre ami Gustave Kars, qui était témoin de l'événement.

16. Il se trouve aujourd'hui à la British Library of Music.

17. Des copies de ces partitions inédites sont en possession de l'auteur.

18. RMS 118 (1978), pp.133-139.

19. Dont deux pages blanches entre le scherzo et le finale.

20. La Neuvième est postérieure, mais elle non plus ne fait appel aux trombones que dans deux mouvements. Observons toutefois qu'ici, hors leur mention en tête de chaque mouvement, la portée des trombones est demeurée vierge dans toute la partie incomplète. Mais la texture de la musique commande assez leur emploi... En outre, Schubert prévoit ici, pour la première fois aussi, quatre cors, deux en mi et deux en sol.

21. On peut même détailler l'exposé des deux idées principales; et on trouvera que l'équilibre n'est pas moins parfait, avec 85 mesures contre 81 à l'exposition et 68 mesures contre 84 à la récapitulation.

22. Schubert. Portrait d'un musicien, p. 264.

23. On notera l'analogie du dessin mélodique avec le célèbre thème-choral de 1828 employé par Schubert à la fois dans l'«Agnus Dei» de la Messe en mi bémol (D 950) et dans le lied <Der Doppelgänger> (D 957). Cela seul situe le niveau de notre symphonie!

24. C'est à peu près impossible avant 1868. Mais on sait que Bruckner séjourna un mois à Londres en juillet-août 1871, y remportant des succès qui le firent connaître de toute l'intelligentsia musicale, à une époque où le manuscrit de Schubert était précisément en possession de Grove. Dès lors, l'hypothèse devient plausible, sans que nous puissions en apporter la preuve matérielle (elle ne se trouverait que par la mention du fait dans la correspondance de l'un ou de l'autre des protagonistes).

25. Ce contraste est plus accusé encore qu'il ne l'est dans l'exemple célèbre de la Grande Symphonie en Ut, même dans l'interprétation, élargie à l'extrême, de Wilhelm Furtwängler...

26. C'est ainsi que la récapitulation de la 5ème Symphonie ne retrouve le ton principal que pour le second thème.

27. M. J. E. Brown: Schubert Symphonies, Londres 1970, p. 39.

28. Ces silences fonctionnels, c'est encore chez Bruckner qu'on trouvera les plus justement célèbres (bien que souvent fort mal compris) - et ceci est une pièce de plus à verser à notre dossier, déjà épais, de la filiation Schubert-Bruckner. Si l'on s'interroge sur la signification de ces silences, une première réponse se trouve dans notre Bruckner (Lausanne 1977), p.ex. pp. 33 et 46; et nous pouvons ajouter qu'il s'agit d'un caractère très spécifique de l'esprit autrichien, lequel est plus porté à suggérer qu'à exprimer, et pour qui ce qui n'est pas dit est au moins aussi important que ce qui est dit. Quant au fait qu'un silence soit bien exigé ici par Schubert, la présence des signes de pause sur les portées des violons puis des cors l'indique assez clairement.

29. Voici, en bref, les principales divergences:

- Exposition. Entre mesures W 61 et W 62: variante du second thème supprimée (mesures S 62 à S 69). Mesures W 73 à 75 remplacent les mesures S 81 à S 100. Mesures W III à 115 remplacent les mesures S 138 à 149. Mesures W 168 à 183 remplacent les mesures S 203 à 230. Mesures W 192 à 218 remplacent S 239 à 255. (Il s'agit, dans tous ces cas, d'une «recomposition» complète ne conservant rien du manuscrit, qu'elle écourte notablement dans les trois premiers cas et étend un peu dans le dernier.) Mesures S 275 à 277 supprimées par l'abandon de la reprise. Or, le fait que Schubert ait presque complètement rédigé (seule de tout le Finale) la page qui porte la barre de reprise indique assez combien il tenait à ce que celle-ci soit effectuée.

- Reprise développante. Mesure W 318 ajoutée. Mesures W 321 à 331 remplacent les mesures S 360 à 380. Mesure S 400 supprimée. Mesures W 456 et 457 (= mesures S 506 et 507), dessin des Vns modifié: tandis que chez Schubert il est identique aux mesures S 504 et 505 (cadence arpégée de si qui prépare celle de mi aux mesures suivantes), Wei ngartner passe par un accord de dominante d'ut dièse, entiè-rement étranger au ton principal. Mesures W 462 à 473 (= S 512 à 523): interprétation très libre (!...)

- Coda. Complètement divergente à partir de W 530. La conclusion ne conserve rien de l'original, si ce n'est une mesure (S 623)! L'ensemble aboutit à un total de 584 mesures au lieu de 626, soit un défaut de 42 mesures.

30. Musical Reminiscences and Impressions, 1906.

31. Voir H. Weber: «Schuberts IV. Symphonie und ihre satztechnischen Vorbilder bei Mozart», in: Musica 32 (1978), pp. 147-151.


* Lieu de dépôt des autographes
- Manuscrit original de Schubert: British Library of Music, Londres.
- Partition d'orchestre d'Emile Amoudruz: 1) Bibliothèque publique universitaire (Genève); 
2) Archives de la Gesellschaft der Musikfreunde, Vienne.

* Edition en préparation
- Version Emile Amoudruz d'après John Francis Barnett: Bureau de musique Mario Bois, 5, rue Jarry, 75010 Paris.




















Franz Schubert (1797-1828)





















John Francis Barnett (1837-1916)




















Paul-Gilbert Langevin (1933-1986)


Le fils du musicologue possède les droits de l'oeuvre.

The son of the musicologist owns the rights of the works.

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